«Quand les anciens commenceront à disparaître et qu'il faudra faire place à de nouvelles générations de dirigeants, que se passera-t-il? Peut-on faire en sorte que le processus révolutionnaire soit irréversible?» Le 17 novembre 2005, Fidel Castro achevait, par cette question apparemment abstraite, un dialogue nocturne avec les étudiants de l'université. Ce lundi, neuf mois plus tard, l'actualité l'a rattrapé.
Victime d'un «accident de santé», le Commandante qui aura 80 ans le 13 août prochain, a fait annoncer, dans une proclamation lue à la télévision par son secrétaire particulier, Carlos Manuel Valenciaga, qu'il venait de subir une opération chirurgicale suite «à une crise intestinale aiguë avec des saignements importants», et passait «provisoirement» à son frère Raul, ministre de la Défense, âgé de 75 ans, les principales responsabilités du pays. «L'opération, dit la proclamation, m'oblige à conserver le repos durant plusieurs semaines, éloigné de mes responsabilités et de mes charges.»
Ce n'est pas le premier signal de la santé déclinante de Fidel, qui jusqu'à il y a peu était un vrai monument de résistance physique. On se souvient de sa chute spectaculaire en public le 20 octobre 2004 quand il s'était brisé le genou. Ou de son évanouissement en 2001, pendant un de ses interminables discours. Mais jamais le président cubain n'avait renoncé à ses responsabilités, et surtout passé provisoirement la main. Fidel Castro est un des plus anciens dirigeants au pouvoir dans le monde: il a survécu à dix présidents américains, à cinq patrons du Parti communiste soviétique, et même à la disparition du communisme, dont il est, au prix de la misère de son peuple, un des derniers défenseurs au monde.
Il n'est donc pas exclu qu'avec cette «proclamation», Cuba vienne d'amorcer un tournant décisif pour son avenir. En d'autres termes, la gravité évidente de la maladie de Fidel - on parle d'un cancer du côlon - pose, plus sérieusement que jamais, la question de sa succession. Avec en point de mire son frère Raul, cet éternel second.
Certes, ce dernier, entouré de la garde militaire la plus fidèle, est capable d'assumer, par la force si nécessaire, la gestion du pays. On appelle les deux frères «le cheval et l'âne». Héritier de la dynastie Castro, Raul va donc endosser les habits de premier secrétaire du Parti communiste cubain (PCC, parti unique), ainsi que l'uniforme de chef des Forces armées révolutionnaires (FAR) et de président du Conseil d'Etat (gouvernement).
Reste que son manque de charisme, son manque de talent d'orateur, son goût du secret et des intrigues, son caractère cruel, autorisent tous les doutes sur la capacité de ce «barbudo» sans barbe, à assurer la survie du régime castriste.
Que va-t-il se passer «le jour d'après»? A Cuba, tout sera possible. Il y a autant des scénarios que d'experts. Voici quelques-uns des plus plausibles. Le premier se passe dans l'heure qui suivra le décès de Fidel. C'est celui de la violence, du chaos, et de la haine brusquement déchaînée: les Cubains se battent entre eux, et plongent dans une guerre civile à la haïtienne. Dans le second, c'est l'armée qui «occupe» le pays. L'appareil de l'Etat n'a en effet aucun intérêt au changement. Ses chefs savent que l'idéologie est morte, connaissent les conditions dans lesquelles le communisme est mort en Europe de l'Est. Ils renforcent la répression pour éviter le chaos et la perte du contrôle des événements. La question est: à quel prix?
Le troisième scénario, plus optimiste, pourrait être le fruit d'un groupe de (relativement) jeunes conseillers de Castro, notamment Carlos Lage, conseiller économique, Felipe Perez-Roque, ministre des Affaires étrangères, et d'autres. Ils entameraient une marche lente vers le modèle chinois, articulant un monopole du pouvoir politique avec un marché de plus en plus ouvert. Enfin, on ne peut exclure le modèle espagnol: une transition pacifique menée par un des membres les moins compromis de la junte actuelle.
A lire: la revue «Enjeux internationaux» consacre dans son numéro qui vient de paraître un dossier sur «Les scénarios de l'après-Castro». http://www.enjeux-internationaux.org