Au XIXe et au début du XXe siècle, New York n’avait rien à envier à la Bretagne. La ville grouillait de bars à huîtres. L’Hudson River, l’un des deux grands fleuves, avec l’East River, qui enlacent Manhattan, était le terrain privilégié des ostréiculteurs. «En 1905, relève Dennis Suszkowski, directeur scientifique de la Fondation Hudson River, on comptait encore 129 km² de parcs à huîtres, qui contribuaient grandement à l’écosystème de la région.» Mais l’industrialisation et la pollution croissante de New York ont eu raison de la population ostréicole de l’Hudson. «Dans les années 1920, une épidémie de fièvre typhoïde tua une cinquantaine de personnes. On avait accusé le New York Harbor, la zone portuaire, d’être à l’origine de la pollution des huîtres», poursuit Dennis Suszkowski. Aujour­d’hui, le célèbre bar à huîtres de la gare de Grand Central, centenaire, entretient le mythe.

A 45 ans, Fabien Cousteau n’est pas nostalgique d’une époque qu’il n’a pas connue. Mais il a l’écologie marine chevillée au corps à l’image de son grand-père, l’océanographe Jacques-Yves Cousteau, le commandant au bonnet rouge de la Calypso. Face aux énormes gratte-ciel de Downtown Manhattan, dans le Brooklyn Bridge Park qui dégage une odeur d’algues marines, il explique son projet: planter jusqu’à un milliard d’huîtres dans les eaux de l’Hudson. Pour relancer leur consommation dans la Grande Pomme? Pas vraiment. Lui-même n’est pas un adepte de ce fruit de mer. «C’est le pot d’échappement des océans, relève-t-il. Elle filtre tout.» Son dessein est de sauver ou de restaurer les espaces marins en danger. Grâce à l’ONG Plant a Fish qu’il a créée aux Etats-Unis, il a déjà réinstallé plus de 2,5 millions d’huîtres. «Un milliard, c’est une manière de rêver, souligne-t-il. Mon grand-père m’a toujours fait comprendre que rien n’était impossible. Il était très curieux. Il voulait tout explorer. Il me disait toujours: «Allons voir.»

Pour Fabien Cousteau, revaloriser l’huître à New York n’a rien de farfelu. «Elle contribue à restaurer l’écologie marine et à former de nouveaux récifs. Une huître adulte purifie près de 240 litres par jour. Ce n’est bien sûr pas suffisant pour épurer les eaux de l’Hudson, qui subissent les contraintes environnementales d’un bassin de quelque 20 millions d’habitants.» Certaines zones du fleuve revivent. Il n’y a pas si longtemps, Fabien Cousteau a vu dans l’Hudson des crabes, des hippocampes, des bars d’Amérique et des dauphins. La visibilité sous l’eau est désormais de 50 centimètres. C’est déjà mieux qu’avant.

Fabien Cousteau espère qu’en contribuant à recréer des petits récifs, les huîtres permettront d’ériger des barrières primaires pour protéger les terres des ouragans tels que Sandy, qui a inondé certains districts de New York l’année dernière. Elles devraient aussi enclencher un processus de reproduction naturelle. «Si la mer n’est pas saine, rien n’est sain. Elle est comme le sang dans nos veines: un soutien vital», insiste le documentariste et explorateur, qui s’applique aussi à restaurer des récifs coralliens aux Maldives et aux Bahamas. Une tâche qu’il juge d’autant plus nécessaire que les scientifiques prédisent que 60% de ces récifs auront disparu au cours des prochaines décennies. Il s’attelle également à sauver des tortues marines en Floride et au Salvador.

A New York, Plant a Fish, pour laquelle il travaille bénévolement, trouve un vrai écho. Cousteau est un nom connu non seulement en Europe, mais aussi outre-Atlantique. Le commandant de la Calypso avait une fondation à Manhattan avant que celle-ci devienne la Cousteau Society, installée désormais en Virginie, le long de la Cheasapeake Bay. «Un tel projet ne fonctionnerait pas en France. Les Français ne sont pas habitués à ce type de structure interactive avec le public», constate Fabien Cousteau, qui vit aux Etats-Unis depuis plus de quinze ans, mais qui refuse d’acquérir la nationalité américaine. «Je reste Français de cœur et de passion, même si je trouve New York fascinante et stimulante. Je retourne parfois à Sanary, dans le sud de la France, dans la maison familiale de mon grand-père. C’est là que j’ai utilisé mes premiers détendeurs et effectué mes premières plongées. Mais je bouge beaucoup. J’ai déjà déménagé 24 fois. Je me sens très bien aux Etats-Unis. Les Américains sont des pros quand il s’agit d’entreprendre. Ils ne s’embarrassent pas des procédures. Mais il leur manque l’épicurisme de la France.»

La passion des océans et du monde marin n’est pas venue tout de suite. Dès l’âge de 7 ans, Fabien Cousteau passait régulièrement ses vacances d’hiver et d’été sur la Calypso. A son âge, le jeune Cousteau devait surtout se coltiner la tâche ingrate de nettoyer la coque du navire. Ce n’est que plus tard qu’il va prendre conscience de la chance qu’il a eue de voyager des mois durant sur la Calypso. Le patron de l’ONG Plant a Fish décrit son travail comme un engagement nécessaire, une manière de perpétuer l’esprit insufflé par Jacques-Yves Cousteau. «A la fin de sa vie, mon grand-père était habité par un sentiment d’urgence. Il savait que son travail ne faisait que commencer. Il trouvait cela frustrant.» Au printemps prochain, Fabien Cousteau prévoit de passer un mois entier sous la mer au large de la Floride. Une façon de rendre hommage au commandant de la Calypso, qui passa un mois au fond de la mer Rouge il y a cinquante ans.

Les New-Yorkais apportent leur contribution à l’œuvre écologique de Fabien Cousteau. Ils aident à préparer les cages semi-circulaires pour les parcs à huîtres et à les charger à bord de kayaks ou d’un petit bateau à moteur avant de les plonger dans l’Hudson. Les cages sont soumises à des stimulations électriques provenant de panneaux solaires qui facilitent le recrutement naturel. Des huîtres viennent se coller d’elles-mêmes aux casiers. «Une huître a un cycle de vie d’environ douze ans, souligne le petit-fils de l’océanographe. Elle peut, dans les cas extrêmes, atteindre 35 centimètres de longueur.» Fabien Cousteau a bien conscience d’agir à petite échelle. «Mais c’est comme cela, prédit-il, qu’on sensibilisera la population au changement climatique.»

Diplômé en économie de l’environnement de l’Université de Boston, Fabien Cousteau l’admet. A New York, tout n’a pas été facile. Pour des questions légales, ses parcs à huîtres ne peuvent être que temporaires. Il doit donc les déplacer régulièrement. «Quand on lance un projet qui sert d’interface entre l’eau et le public, constate l’explorateur, il y a forcément des questions de santé publique et de sécurité qui se posent.»

«Mon grand-père m’a toujours fait comprendre que rien n’était impossible. Il était très curieux»