Santé globale
La 74e Assemblée mondiale de la santé s’est achevée lundi. Elle n’a de loin pas tenu toutes ses promesses. Si elle a accepté une résolution pour renforcer l’OMS, certains doutent de sa mise en œuvre. Présidente du Global Health Centre à l’IHEID, Ilona Kickbusch tire le bilan de l’AMS

Au vu des ravages provoqués par la pandémie de Covid-19, la 74e Assemblée mondiale de la santé (AMS, l’organe suprême de l’OMS) qui s’est réunie virtuellement du 24 au 31 mai à Genève suscitait énormément d’attentes. Il fallait, entendait-on, remédier au plus vite aux faiblesses de l’OMS et renforcer la riposte clairement insuffisante des Etats à la pandémie. Directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus a clos l’AMS lundi. Il a rappelé que la situation s’était améliorée tout en soulignant que «ce serait une erreur monumentale de croire que le danger a disparu».
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Une résolution appelant à renforcer l’agence onusienne a été adoptée lundi. Le patron de l’OMS a qualifié ce moment «d’historique». Dans les faits, les choses pourraient être plus compliquées. La question du financement et d’un éventuel traité sur les pandémies a été renvoyée à plus tard. L’inégalité crasse en termes d’accès aux vaccins a été dénoncée, mais sans réelle mesure pour la contrer. Mardi, le FMI, la Banque mondiale, l’OMS et l’OMC ont exhorté les Etats à investir 50 milliards de dollars dans des structures comme Covax pour accroître la production et la distribution de vaccins dans le monde entier. Présidente du Global Health Centre de l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève, Ilona Kickbusch livre son analyse.
Quel est le bilan à chaud que vous tirez de cette 74e Assemblée mondiale de la santé?
Plusieurs sujets d’importance ont été traités: les déterminants sociaux de la santé, la question du personnel médical, du diabète, mais aussi et surtout les problèmes de santé mentale, qui – on l’a vu avec le Covid-19 – sont sérieux. Ce qui est moins encourageant, c’est la tonalité de cette 74e AMS. Quand il s’est agi de Taïwan ou de la Palestine, elle est devenue extrêmement politisée. La présidente bhoutanaise de l’AMS a dû appeler au calme. C’est très inquiétant. Or les pères fondateurs avaient précisément voulu établir l’OMS à Genève et non à New York pour éviter une trop forte politisation. C’est préoccupant de voir la géopolitique mondiale faire irruption dans l’AMS. L’apartheid des vaccins a aussi été très discuté. Les inégalités en la matière ont rarement été aussi visibles. Cela aurait pu être évité. C’est une tragédie.
Beaucoup s’attendaient à ce que la 74e AMS s’accorde pour lancer un processus de négociation sur un traité international sur les pandémies. On est loin du compte…
Une soixantaine de pays voulaient lancer un processus intergouvernemental pour entamer des négociations sur un traité pandémique. Mais un groupe de pays, dont les Etats-Unis, la Russie et le Brésil, s’y sont opposés. Les 60 pays ont néanmoins eu le dessus et l’AMS de novembre en discutera en priorité. Les Etats-Unis estiment que leur système rend très difficile l’adoption d’un tel traité par le Sénat. C’est un fait. Il est difficile de ratifier un traité, même en Suisse. Cela ne veut pas dire qu’il faudrait s’empêcher d’entamer des négociations.
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Les défenseurs d’un traité estiment pourtant que c’est le bon moment.
A leurs yeux, il faut battre le fer pendant qu’il est chaud et profiter de l’urgence actuelle pour mobiliser les Etats afin qu’ils agissent de concert. Un tel traité serait utile pour créer de vrais liens entre les Etats membres de l’OMS et pour que ces derniers soient responsables les uns envers les autres. Dans un monde aussi globalisé, un traité permettrait d’entamer un processus politique crucial par lequel les Etats s’engageraient les uns envers les autres et d’éviter que certains soient ostracisés. Il permettrait aussi de mieux mener des enquêtes et de mieux partager des données essentielles en lien avec une pandémie. Un processus politique pousse les Etats à prendre les choses très sérieusement. Plusieurs ministères seraient concernés. Les parlements nationaux seraient impliqués. C’est une sorte de garantie pour que la question de la préparation à la pandémie ne soit pas balayée sous le tapis. Le processus qui a mené à l’adoption de la convention-cadre sur le tabac a été incroyablement important et efficace.
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Les Etats membres n’ont pas voulu renforcer l’assise financière de l’OMS. Est-ce inquiétant sachant que l’organisation a un budget équivalant à celui des HUG à Genève?
Tous les comités de révision et d’évaluation l’ont dit: avec un budget aussi faible, il n’est pas possible de gérer une agence normative comme l’OMS, responsable de directives en termes de préparation et de riposte à une pandémie. Seuls 20% de ce budget sont des contributions obligatoires et cela pourrait s’aggraver. Que les Etats qui dépensent des milliers de milliards de francs pour relancer leurs économies ne soient pas prêts à engager quelques millions de plus pour renforcer l’OMS est irresponsable. Avec un tel budget, il est difficile pour une organisation comme l’OMS, qui créé des normes, de les faire respecter. Sans effort financier, on va affaiblir l’OMS et la santé globale. Le débat a été renvoyé à janvier 2022.