Etudiants disparus: indignation au Mexique

Amérique latine Les jeunesont disparuà la suite d’attaques de la police et de narcotrafiquants

La pression monte sur le président Enrique Peña Nieto

Les drapeaux mexicains qui flottaient au-dessus de marcheurs ont répandu le deuil mercredi au centre-ville de Mexico: les symboliques bandes verte et rouge de l’étendard national ont cédé leur place au noir. «Vous n’êtes pas seuls! La lutte continue», criaient des dizaines de milliers de personnes venues appuyer les familles et les proches de 43 étudiants disparus depuis près de deux semaines. «Ils nous les ont pris vivants, ils doivent nous les rendent vivants», a martelé au micro, trémolo dans la voix, l’un des pères des disparus devant une foule furieuse.

Les étudiants de l’Ecole normale d’Ayotzinapa, située dans l’Etat du Guerrero, au sud de la capitale mexicaine, n’oublieront pas de sitôt le 26 septembre 2014. Ce jour-là, plusieurs de ces jeunes, futurs enseignants du pays, se sont rendus à Iguala, à 100 km de leur école, pour manifester et, selon leurs dires, amasser des fonds. Après la manifestation, les étudiants, âgés de 17 à 21 ans, se sont emparés d’autobus publics pour rentrer chez eux. Des policiers municipaux et des narcotrafiquants ont alors ouvert le feu, faisant six morts. De plus, 43 étudiants sont portés disparus.

Une semaine plus tard, le procureur de l’Etat, Iñaky Blanco, a annoncé que six fosses communes clandestines avaient été découvertes près d’Iguala. Selon le procureur, deux détenus ont avoué avoir capturé et tué 17 étudiants avant de les enfouir dans ces fosses. Une équipe d’une trentaine d’experts mexicains et argentins, dirigée par le procureur général de la République, enquête actuellement pour éclaircir les circonstances de ce drame et identifier les corps retrouvés dans les fosses communes.

Les parents et les étudiants sont convaincus d’une chose: les disparus sont en vie. «Il y a plusieurs endroits au Guerrero où les autorités peuvent cacher nos camarades, comme des zones militaires, affirme Mario, un étudiant de la normale d’Ayotzinapa. Notre école est blessée et furieuse. Si nos camarades ne nous sont pas rendus, les étudiants et les citoyens deviendront incontrôlables», prévient-il, en précisant avoir vu tomber d’autres de ses camarades au cours des trois dernières années dans des circonstances similaires.

Selon des documents diffusés dans des médias locaux, le maire d’Iguala, José Luis Abarca, soutenait le groupe de narcotrafiquants Guerreros Unidos («Guerriers unis»), cartel qui aurait infiltré les forces policières de la ville. Le maire a pris la fuite quelques jours après la disparition. Un mandat d’arrêt pèse sur lui.

Cette tragédie, qui a fait la une des journaux au Mexique comme ailleurs, indigne profondément le peuple mexicain, trop habitué à voir le sang d’innocents couler sans que justice ne leur soit rendue. «Il s’agit d’un acte de violence exécuté par des représentants de l’Etat, estime Marcela Gomez, une professeure de l’Université autonome du Mexique venue manifester mercredi à Mexico. L’impunité et la corruption caractérisent depuis plus de trois décennies notre Etat. Dans ce cas, des narcotrafiquants et de possibles groupes paramilitaires sont aussi mêlés à l’histoire. L’Etat a perdu de son pouvoir, la gouvernance n’existe plus. C’est inacceptable!»

Après dix jours de mutisme, le président Enrique Peña Nieto a tenu un point de presse lundi pour clamer haut et fort que les coupables de ce crime seraient punis et qu’il n’y aurait pas d’impunité. Les Etats-Unis et plusieurs organismes internationaux, dont l’Organisation des Etats américains (OEA), les Nations unies au Mexique, Amnesty International et Human Rights Watch, exigent une enquête globale et transparente. Si l’on confirme que les étudiants disparus d’Ayotzinapa ont été tués par des policiers, il s’agira du plus grand massacre exécuté par des forces de l’ordre depuis la prise de pouvoir d’Enrique Peña Nieto en décembre 2012.

Selon le politicologue Jorge Hernandez Tinajero, le président tentera de calmer le jeu dans les jours à venir. «Enrique Peña Nieto risque d’identifier des coupables et de faire pression sur le gouverneur du Guerrero pour que ce dernier démissionne», prévoit-t-il en ajoutant que «le président risque de permettre la tenue d’une enquête internationale chapeautée, par exemple, par l’ONU».

Les proches des victimes, eux, promettent de ne pas baisser les bras tant que les autorités ne leur auront pas rendu de compte. S’il le faut, ils useront de violence, affirme le tuteur et oncle de l’un des disparus, Manuel Martinez: «Nous sommes en train de mettre en place une guérilla pour retrouver les jeunes. Dans l’Etat du Guerrero, le peuple est pauvre et démuni. Il n’existe malheureusement pas d’autres moyens, pour nous, de nous faire justice.»

«Si nos camarades ne nous sont pas rendus, les étudiants et les citoyens deviendront incontrôlables»