En Irak, une visite très politique
ÉDITORIAL. François est le premier pape, depuis des siècles, à se rendre en Mésopotamie. Pour se placer au chevet des chrétiens, mais aussi pour rencontrer le principal dignitaire chiite du pays

A Bagdad, des églises protégées par des murs en béton armé; d’autres tout bonnement en ruine, encore réduites à un amoncellement de gravats, comme à Mossoul; des salves de roquettes qui s’abattent sur les intérêts américains; et, pour couronner le tout, une deuxième vague de la pandémie particulièrement dure… Le moins que l’on puisse dire, c’est que le pape François n’a pas opté pour la simplicité à l’heure de choisir l’Irak comme destination de son dernier voyage en date, qui commence ce vendredi.
Certains salueront le «courage» de ce pape qui, à 84 ans, sera le premier depuis des siècles – littéralement – à se rendre en Mésopotamie, berceau des Eglises des premiers temps, où la tradition situe la naissance d’Abraham et des premiers évangélisateurs. D’autres y verront un soutien bienvenu, très longtemps retardé, aux chrétiens d’Orient, à l’endroit même où leurs souffrances sont les plus aiguës. Ils étaient près d’un million et demi il y a vingt ans, ils ne sont guère plus de 200 000 aujourd’hui: les contrecoups de la folie néoconservatrice déclenchée par George Bush en 2003, puis le délire meurtrier des militants de l’organisation de l’Etat islamique ont atteint, pour les chrétiens, des proportions bibliques. La ferveur qu’ils réserveront au prélat argentin sera, nul n’en doute, à la mesure du désastre.
Mais on peut aussi voir cette visite du pape comme un magistral coup politique. L’Irak est aujourd’hui un pays à ce point torturé que même les GI américains rêvent d’en partir. Au-delà des rencontres avec les principaux dirigeants du pays, François se rendra surtout à Nadjaf, dans l’antre de celui qui est aussi populaire que lui auprès de ses propres fidèles, le grand ayatollah Ali al-Sistani. La rencontre, qui a pu être confirmée il y a à peine quelques semaines, a été réglée au millimètre, comme du papier à musique. Le pape se déchaussera pour entrer chez ce dignitaire révéré qui peut, s’il le veut, faire la pluie et le beau temps dans son pays.
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Al-Sistani est certes chiite, mais il s’affiche en contrepoids de son grand rival iranien, le guide suprême Ali Khamenei. L’ayatollah irakien défend la séparation du politique et du religieux et prône, comme peu le font dans son pays, une réelle unité de l’Irak, au-delà des clivages confessionnels. Nul ne sait ce que se diront les deux hommes dans l’intimité de la modeste demeure d’Al-Sistani. Mais si François souhaite garantir une existence future des chrétiens dans les terres de leurs origines, il aura frappé à la bonne porte. Au risque, il est vrai, de faire enrager encore davantage tous ceux qui, chiites ou sunnites fondamentalistes, veulent en finir une fois pour toutes avec cette présence des chrétiens.
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