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James Meredith, cet anti-héros

Le premier étudiant noir de l’Université du Mississippi, en 1962, raconte cette époque avec un demi-siècle de recul

James Meredith, figure des droits civiques. — © Stéphane Bussard
James Meredith, figure des droits civiques. — © Stéphane Bussard

James Meredith, cet anti-héros

Tout de blanc vêtu, barbe blanche, chapeau de paille, James ­Meredith rencontre Le Temps au restaurant Char, le long d’une autoroute en périphérie de Jackson. Passant pour l’une des grandes figures du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis pour avoir brisé le mur de la ségrégation en devenant, en octobre 1962, le premier étudiant noir de l’Université du Mississippi, il reste pourtant, à 81 ans, un être mystique, voire rugueux. Il semble porter le fardeau historique de cet Etat du Sud profond.

Quand on lui parle d’Afro-Américains, il hausse les épaules. Il réfute le vocable, insistant sur le fait qu’il est Noir. Il précise aussi qu’on ne peut comprendre son parcours sans étudier sa généalogie. Son arrière-grand-père, le colonel Campbell, était officier pour les Etats confédérés. Sa grand-mère, Frances Brown, était issue de la tribu indienne des Choctaw et fut considérée comme étant Blanche avant d’être «reclassée» Noire. A l’époque, il a délibérément choisi l’Université Ole Miss, fondée en 1848, pour ébranler ce temple de la suprématie blanche qui ­impose sa marque aussi bien au Congrès qu’à la Maison-Blanche. Etre complexe, James Meredith lâche soudain une phrase qui surprend: «Qu’est-ce que je pense du mouvement des droits civiques? C’est une insulte à la citoyenneté.» Ses propos lui valent un quasi-boycott des médias ­nationaux américains et de vives critiques des mouvements des droits civiques. L’ex-étudiant d’Ole Miss précise sa pensée: «Je suis né en tant que citoyen. Et toute personne naît avec tous les droits découlant de la cito­yenneté.» Pour lui, supplier les Blancs pour obtenir des bribes de droits n’est pas digne de son statut de citoyen.

James Meredith est absolu. Sans concession. Il refuse le rang de héros tant chéri aux Etats-Unis. Il aimerait même qu’on démantèle cette statue de lui-même qui trône depuis 2006 sur le ­campus de l’université et qui fut inaugurée par le représentant démocrate du Congrès John Lewis, icône de la lutte des droits ci­viques: «En dévoilant ce monument, nous nous libérons des chaînes d’un passé difficile. Au­jourd’hui, nous pouvons célébrer un jour nouveau, un nouveau départ, la naissance d’un Sud nouveau et d’une Amérique nouvelle, plus libre, plus juste qu’avant.» James Meredith continue de ­prétendre qu’il s’est contenté de forcer l’administration de John F. Kennedy à envoyer son armée pour qu’il puisse exercer ses droits de citoyen.

C’est sans doute cette attitude qui l’a poussé à s’inscrire auprès du Parti républicain, à apporter son aide, en 1967 déjà, au gou­verneur ségrégationniste Ross Barnett, qui avait pourtant tout tenté pour lui barrer l’accès à l’université. Il a aussi aidé le sénateur ségrégationniste Jesse Helms et soutenu la candidature de l’ex-leader du Ku Klux Klan ­David Duke au poste de gouverneur de Louisiane en 1991. Ancien membre de l’US Air Force, James Meredith appelle les Eglises noires à s’impliquer davantage.

L’homme n’a pas manqué de courage. Sur le campus, bien que protégé, il a dû affronter les sarcasmes et une forme de harcèlement. Après l’épisode d’Ole Miss, il organise seul une «marche contre la peur» en 1966, de Memphis à Jackson Mississippi, au cours de laquelle il déclare avoir été ­accompagné spirituellement par les pères fondateurs de l’Amérique George Washington, Thomas Jefferson et Jésus-Christ. Au deuxième jour de la marche, on lui tire dessus. Blessé et hospitalisé, il laisse Martin Luther King et d’autres leaders du mouvement des droits civiques accourus sur place finir l’aventure de 350 kilomètres. L’homme intrigue. Le ministre américain de la Justice Robert Kennedy souhaite le rencontrer: «Ils ont pris des photos, mais nous n’avions en gros rien à nous dire», lâche ­James Meredith, qui a en revanche eu trois conversations avec Martin Luther King. Il s’en souvient: «Il m’a expliqué que la ­notion de non-violence était ­simplement une tactique. Cela m’a rassuré. Personnellement, je pense que la non-violence est un principe contraire à ce qu’est l’Amérique.» Et James Meredith d’étayer ses propos en soulignant l’attitude de Washington dans la guerre contre le terrorisme.

Et Barack Obama? «Je ne parle généralement plus de politique. Mais, je l’avoue: les deux événements les plus importants de ces dernières années furent son élection à la Maison-Blanche en 2008 et surtout sa réélection en 2012. C’est un être brillant, peut-être le plus intelligent des 44 présidents qu’a connus l’Amérique. En travaillant avec les plus démunis à Chicago, il a compris ce qu’était la pauvreté. Il a compris que le vrai fossé dans ce pays n’est pas entre Noirs et Blancs, mais entre riches et pauvres.»

«Ce que je pense du mouvement des droits civiques aujourd’hui? C’est une insulte à la citoyenneté»