Jasminko Halilovic, d’enfant de la guerre à héraut de la paix
Portrait
Jasminko Halilovic avait 4 ans quand la guerre de Bosnie a éclaté. Natif de Sarajevo, il a rassemblé les témoignages de ceux qui avaient son âge pendant le conflit, en a fait un livre puis un musée. Il vient raconter son expérience ce vendredi aux Geneva Peace Talks

Quand la guerre de Bosnie éclata, en 1992, il n’avait que 4 ans. Aujourd’hui, il n’a pas oublié le conflit meurtrier qui ravagea son pays jusqu’en 1995 et les 1425 jours de siège de Sarajevo qui coûta la vie à 11 500 civils. Jasminko Halilovic, 30 ans, a la mémoire encore vive, mais il a eu vite conscience de ne pas être seul à avoir son vécu. Fils d’universitaires, il a été épargné par les pires travers de la guerre, aucun membre de sa famille n’ayant été blessé. Mais il n’en a pas moins senti le poids des hostilités sur ses épaules d’enfant. C’est fort de cette expérience qu’il vient témoigner aujourd’hui aux Geneva Peace Talks au Palais des Nations*.
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Ouvrage collectif
Né à Sarajevo, Jasminko Halilovic le souligne: «Si les adultes prenaient conscience des lourdes conséquences de la guerre sur les enfants, ils auraient une autre compréhension des vertus de la paix.» C’est pour faire comprendre ce message qu’il s’est lancé, voici quelques années, dans une expérience unique: rassembler les témoignages de ceux qui étaient des enfants comme lui en pleine guerre de Bosnie. En leur demandant en ligne ce que signifiait être un enfant pendant la guerre, il toucha une corde sensible. Il reçut plus de 1000 réponses, chacune limitée à 160 caractères et dont il fera, en 2013, un livre, «Enfance en guerre» (War Childhood). Il dédia l’ouvrage, traduit dans six langues, à Mirella, une copine d’école décédée en 1994. Mais il le précise: le livre ne cède pas à la victimisation. Il montre au contraire qu’en période de conflit, les enfants manifestent une vraie résilience et une étonnante créativité qui influencent positivement les adultes.
Le Bosnien a depuis fait du chemin et roulé sa bosse dans plus de 66 pays. Diplômé en économie de l’Université de Sarajevo, il regorge d’énergie. Fondateur et président de l’Urban Association, une ONG phare dans le domaine de la culture, il a trouvé frustrant de réduire les innombrables témoignages qu’il a recueillis à un seul livre. C’est pourquoi il a décidé, avec des amis, de créer le premier musée au monde consacré aux enfants de la guerre, une thématique qui reste malheureusement d’une brûlante actualité tant en Syrie et au Yémen qu’en Palestine ou au Soudan du Sud.
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Au cœur de Sarajevo, le War Childhood Museum, qui a ouvert en janvier 2017, expose quelque 4000 objets qui racontent les rêves et la réalité d’une enfance chamboulée par les horreurs du conflit: du matériel scolaire, des jouets, les chaussures de danse classique de Mela, qui aspirait à devenir une grande ballerine, la poupée Barbie à laquelle s’était attachée Asmira quand, à l’âge de 3 ans, elle fut expulsée avec sa famille de Bratunac pour finir dans un camp de réfugiés à Tuzla, des journaux personnels ou encore des boîtes de conserve données par l’aide humanitaire. Certains objets sont posés sur des socles, d’autres sont suspendus par des fils au plafond. Primé en 2018 par le Conseil de l’Europe, le musée évoque des souvenirs longtemps tus, offrant une forme bienvenue de catharsis collective, ce d’autant qu’elle se réfère aux vécus de tous les enfants, qu’ils soient Serbes, Croates ou Bosniaques.
Adhérer à l’UE
Jasminko, qui est déjà venu deux fois à Genève dans le cadre des Global Shapers à l’invitation du World Economic Forum, ne voit pas son musée comme une simple madeleine de Proust. Il lui attribue trois missions: documenter le sort des enfants en lien à d’autres conflits à travers le monde, rappeler à travers l’exposition d’objets des faits qui paraissent banals mais qui remettent l’humain au centre de tout et, enfin, éduquer. Le War Chilhood Museum met en place des ateliers qui ont chacun pour but de montrer les bénéfices de la paix…
Tout n’a pas été simple pour Jasminko Halilovic. Les dynamiques nationalistes semblent peu compatibles avec un musée qui fait fi de l’ethnicité et des rancœurs intercommunautaires. Jasminko voit dans son entreprise une contribution à une ville, Sarajevo, qu’il perçoit comme le symbole même de la coexistence des religions, des cultures occidentale et orientale. Ce qui le chagrine, c’est le fait que la Bosnie-Herzégovine est l’un des pays les moins développés d’Europe. Il le reconnaît: «C’est un vrai défi pour ses habitants. Mais je souhaite vraiment que la Bosnie puisse adhérer un jour à l’UE. C’est notre destin. Nous faisons partie intégrante de l’Europe et une adhésion permettrait de réduire les tensions dans mon pays.»
Il importe, dit-il, que chacun exprime en tout temps la nécessité de développer la paix. Pour lui, dont la sœur est née deux jours après les Accords de Dayton de 1995, les extrêmes droites ont peut-être le vent en poupe, mais elles sont loin de représenter une majorité. «J’espère que l’Europe a suffisamment appris de la Seconde Guerre mondiale pour réaliser l’importance et parfois la grande fragilité de la paix.» Un message universel.
* Sixième édition des Geneva Peace Talks sur le thème «Peace Without Borders», le 21 septembre 2018 de 16h à 18h30 au Palais des Nations. Webcast sur genevapeacetalks.ch