Pas question de laisser s’instaurer, entre lui et les électeurs, un espace politique occupé par un chef de gouvernement autonome, dont le capital politique prenait de plus en plus d’ampleur. La décision d’Emmanuel Macron d’accepter, vendredi, la démission de son premier ministre Edouard Philippe est d’abord le résultat d’un constat: pour imprimer un nouveau cours à son mandat, qui s’achèvera en mai 2022, le président français se devait de reprendre les commandes de l’action gouvernementale.

Jean Castex, un haut fonctionnaire de 54 ans inconnu du grand public, familier de l’Elysée sous Nicolas Sarkozy (dont il codirigea le cabinet entre 2011 et 2012), est de ce point de vue un choix presque parfait. Homme de droite en accord avec les réformes économiques d’inspiration libérale mises en place depuis 2017, mais plus centriste et moins conservateur qu’Edouard Philippe, intransigeant disciple d’Alain Juppé. A la fois rompu aux coulisses de l’Etat, défenseur de la puissance publique dans un pays où les fonctionnaires disposent d’une influence déterminante et maire d’une commune rurale des Pyrénées-Orientales (Prades, à une cinquantaine de kilomètres de Perpignan), donc habitué du labyrinthe des collectivités territoriales. Au fait, enfin, de l’actuelle réalité sociale et géographique du pays puisqu’il dirigeait, depuis le mois d’avril, les opérations de déconfinement après la crise sanitaire du coronavirus…

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Un pouvoir «partagé entre quelques amis»

Preuve de la volonté macronienne de reprendre le contrôle, une autre nomination a été annoncée dans la foulée: celle de Nicolas Revel, 54 ans, désormais directeur de cabinet du nouveau premier ministre. En France, où la centralisation de l’administration place les leviers du pouvoir exécutif dans un petit nombre de mains seulement, entre l’Elysée, Matignon et quelques ministères régaliens (Intérieur, Finance, Education nationale, Affaires étrangères), ce genre de poste est déterminant. Or ce haut fonctionnaire, fils de l’ancienne éditorialiste du Monde Claude Sarraute et de l’académicien défunt Jean-François Revel, était l’alter ego à l’Elysée, entre 2012 et 2014, d’un certain… Emmanuel Macron, tous deux occupant le poste de secrétaire général adjoint de la présidence de la République sous François Hollande.

«Le pouvoir est plus que jamais partagé entre quelques amis», a déploré le député Alexis Corbières, l’un des ténors de la gauche radicale. Pas faux. Même si cela lui a valu quelques mésaventures – à commencer par l’affaire de son collaborateur personnel Alexandre Benalla qui éclata durant l’été 2018 –, le chef de l’Etat français continue d’accorder une confiance excessive aux «mormons»: ceux qui étaient à ses côtés lors de sa campagne victorieuse de 2016.

L’équipe qui entourait Edouard Philippe, chef de gouvernement issu de la droite, était à l’inverse composée d’hommes et de femmes venus en Macronie en «mercenaires». Son directeur de cabinet, Benoît Ribadeau-Dumas, était souvent présenté comme «l’obstacle en chef» aux réformes présidentielles. Vrai ou faux? Le chef de l’Etat français a en tout cas tranché: il voulait avoir les mains libres pour mener sa contre-offensive. C’est aujourd’hui chose faite. Avec, dans le poste de pilotage de l’Hôtel Matignon, plaque tournante de l’administration française et arbitre entre les ministères, un homme qui connaît par cœur la machine.

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S’impliquer pour convaincre

L’option Castex est en fait logique. Lucide, Emmanuel Macron a compris qu’il ne pourrait plus attirer à lui des grosses «pointures» politiques, d’autant plus que le second tour des municipales organisées dimanche a confirmé la volonté d’une majorité d’électeurs des métropoles de renouveler leurs élus. Autre réalité entérinée à l’Elysée: le macronisme est une posture que peu savent rendre attractive. D’où l’importance, pour le locataire de l’Elysée, de s’impliquer directement pour expliquer, convaincre et séduire, même lorsque le pays est en colère.

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La réussite du «grand débat national» et de son millier de rencontres au début de 2019, après le séisme des «gilets jaunes», a largement été celle d’Emmanuel Macron, champion des rencontres marathons. Idem pour les élections européennes de mai 2019, que l’on disait mal parties pour la majorité présidentielle, jusqu’à ce que le président français mette son poids dans la balance. Résultat pour la liste de La République en marche (LREM): une deuxième place, juste derrière la liste du Rassemblement national, loin devant le PS, les Verts et la droite. «La personnalisation du pouvoir au sommet est réelle, admet un parlementaire LREM. Emmanuel Macron a choisi un premier ministre qui n’est pas un co-bâtisseur, mais une habile courroie de transmission.» Ce qui aura un avantage si cela fonctionne; éviter, d’ici 2022, de faire caler le moteur présidentiel.

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