Ça ressemble à une colonie de vacances. Des jeunes sont couchés dans l'herbe, d'autres appuyés contre un mur. Les filles parlent des garçons, les garçons regardent les filles. Ils discutent musique, cinéma, football. Et conflit au Proche-Orient. Durant onze jours, une trentaine d'adolescents israéliens et palestiniens ont appris à s'apprivoiser sur les hauteurs de Lausanne, dans le cadre d'un programme du «Jerusalem international YMCA». Le groupe est reparti mardi.

«Pendant six mois, ils se rencontrent chaque semaine en Israël pour discuter. L'été, nous les amenons en Suisse, loin de chez eux, afin qu'ils aient un réel face-à-face, relève Sylvie Berkowitsch, ancienne Lausannoise et directrice du département jeunesse au YMCA de Jérusalem-Ouest. Ils sont logés deux par deux dans des familles de la région, un Israélien et un Palestinien. C'est quelque chose de fort.» Et d'inhabituel; à Jérusalem, les deux communautés se croisent rarement.

Au dernier jour du voyage, la bande est triste à l'idée de se séparer et jure de garder le contact. Les duos semblent soudés, complices. Il est difficile, au premier abord, de savoir qui est Palestinien, qui est Israélien. Installées sur le balcon du foyer des Quatre Vents, à Pully, Haya et Rivea sont en train de bricoler un livre de remerciements pour leur famille d'accueil. Look travaillé et gloussements adolescents, elles ont appris à «connaître et respecter l'autre». «Les seuls Arabes que j'avais croisés avant étaient des balayeurs, ceux dont j'avais entendu parler des kamikazes. Je ne pensais pas qu'il existait des Palestiniens éduqués», admet Rivea, juive israélienne. Haya est au lycée, ses parents sont docteur et professeur. «Moi je ne savais pas que les juifs pouvaient souffrir autant que moi de ce conflit», rétorque la jeune Palestinienne, chrétienne «mais pas moins nationaliste que les autres».

Discussions chaque matin - en anglais - et activités l'après-midi - visite au Palais des Nations, balades en montagne ou tour au Musée olympique - viennent peu à peu à bout des préjugés. «J'étais sûre que tous les juifs étaient des tueurs, désormais certains sont mes amis», note fièrement Zeina en serrant la main de Lihi. Certains sujets, cependant, ont eu du mal à passer. «Quelqu'un a voulu parler des «soldats-terroristes», s'énerve Nadav, de Jérusalem-Ouest. Les soldats sont là pour nous protéger! Mon frère est à l'armée en ce moment, dire que c'est un terroriste, c'est dégueulasse.» «Le plus difficile n'est pas de les faire devenir amis, souligne Eliana, animatrice du groupe, mais de les faire aborder les thématiques qui font mal.»

Depuis trois ans, 15 à 30 jeunes viennent ici chaque année. Sélectionnés par le YMCA, «ils doivent avoir entre 14 et 16 ans, être prompts au dialogue et bons en anglais», précise Emiliana. Tous habitent Jérusalem, afin d'éviter les check-points interminables avant la réunion hebdomadaire. Si l'organisation essaie de varier les profils des participants, la plupart viennent de milieux plutôt aisés; seuls trois d'entre eux n'ont pas pu payer le billet d'avion cette année.

L'association lausannoise Coexistences, créée dans la foulée du premier voyage en 2006, se charge de trouver des familles d'accueil pour les juniors, de financer leur séjour et les billets d'avion des plus nécessiteux. Face au succès des dernières opérations, le concept sera prochainement étendu à un groupe de blessés de guerre et à des mamans d'adolescents venus précédemment.

Amir, Zeina, Mishael, Lihi et les autres repartent à Jérusalem, investis d'une mission: «Raconter qu'ils sont comme nous, que l'on peut coexister. C'est par là que les choses commenceront à changer!» Nadav n'y croit pas une seconde: «C'est chouette de s'écouter mais on n'arrive jamais à tomber d'accord. Comment voulez-vous qu'il y ait la paix?» Inscrit au programme au titre du «service à la communauté» qu'il doit à Israël - une centaine d'heures obligatoires pour les jeunes de 16ans, Nadav admet cependant que l'expérience l'a changé: «Dans deux ans, je serai à l'armée, avec des amis dans l'autre camp. Je ne pourrai pas l'oublier.» Plus loin, un jeune Israélien passe son bras sur les épaules d'une Palestinienne voilée - la seule; elle n'a même pas l'air offusquée.