Une bonne douzaine de miradors circulaires jalonnent l’épaisse enceinte grise de la prison de Jinzhou, où le Prix Nobel de la paix Liu Xiaobo purge sa peine de onze années de détention. Bâti sur le modèle soviétique, l’établissement pénitentiaire remonte aux années 50, mais une récente réfection confère un aspect propre et neuf à cette vaste citadelle de 600 mètres de long par 300 de large.

Erigée à l’époque en périphérie de Jinzhou, petite ville poussiéreuse de la province du Liaoning, la prison jouxte aujourd’hui de nouveaux quartiers d’immeubles résidentiels. Des barrages de police ont été déployés dimanche tout autour du périmètre pour en chasser les journalistes, interdits de s’approcher.

«C’est très sensible», ou «il ne se passe rien ici»: c’est tout ce que sait dire, sur un ton d’embarras profond, un officiel cravaté chargé des «relations extérieures», qui a pour mission de refouler les intrus avec une politesse étudiée. «Il y a beaucoup de sites touristiques à Jinzhou, pourquoi venez-vous ici?», demande son collègue d’un air goguenard.

Samedi à Pékin, la police est allée chercher chez elle Liu Xia, l’épouse du nouveau Prix Nobel de la paix. Un cortège d’Audi noires l’a acheminée à Jinzhou où elle a pu exceptionnellement rencontrer hier Liu Xiaobo et sans doute lui annoncer qu’il avait reçu le Prix Nobel. Cette entrevue a eu dans un lieu inconnu, situé hors des murs de la prison. D’où l’importance du déploiement policier. «Je ne peux pas vous confirmer si cette rencontre a eu lieu, ni même si elle devait avoir lieu», mâchonne Zhang Zhen, l’officiel, qui lâche tout de même qu’il est «normal qu’un prisonnier reçoive des visites de sa famille».

La réaction officielle chinoise à l’octroi du Nobel à Liu Xiaobo ayant été virulente – «une obscénité», selon un porte-parole –, l’empressement des autorités à convoquer son épouse, si peu de temps après, aux portes de la prison, ne paraît pas sans arrière-pensées. Le gouvernement chinois en a-t-il profité pour proposer au prisonnier d’être placé en résidence surveillée? De partir en exil? Ou a-t-on mis sur la table un autre marché? Difficile d’imaginer que Pékin, qui se souciait déjà beaucoup de sa mauvaise image à l’étranger, veuille être montré du doigt en gardant prisonnier un Nobel pendant dix ans encore.

En tout cas, à Jinzhou hier, c’était jour de fête. Dès 6 heures du matin, trompettes, klaxons, pétards et fusées ont détonné dans toute la ville. Rien à voir avec Liu Xiaobo, dont personne n’a entendu parler.

Le journal local n’a fait état qu’en page 14, dans un petit encart signé «agence Chine nouvelle», du coup de gueule officiel contre le comité Nobel. «Le Prix Nobel? C’est quoi ce truc?», répond un passant. Non, la liesse d’hier à Jinzhou, partagée par toute la Chine, tient à une conjonction de dates favorables: le dixième jour du dixième mois de la dixième année du siècle. Des dizaines de mariages ont été célébrés dans la ville, et des dizaines de milliers d’autres dans le reste du pays.

Toute la journée, dans un sillage de cotillons, les rues adjacentes à la prison ont été parcourues de BMW décapotables avec des jeunes mariés habillés de vêtements de cérémonie occidentaux. Pour l’occasion, toutes les bouches d’égout ont été recouvertes d’un papier rouge tenu par une brique. Une coutume visant symboliquement à repousser les «guei», les fantômes et démons qui, comme chacun le sait ici, peuvent surgir à n’importe quel moment de dessous la terre.

L’épouse de Liu Xiaobo a été arrêtée et assignée à résidence à Pékin, a annoncé dimanche soir l’ONG américaine Freedom Now. Et selon une autre ONG, Human Rights in China, dont le siège est à New York et qui serait entrée en contact avec sa femme, Liu Xiaobo aurait dédié son prix aux victimes de Tiananmen. (AFP)