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John Kerry, le visage de l’interventionnisme

Le secrétaire d’Etat américain défend inlassablement la cause de frappes militaires contre la Syrie. Quitte parfois à trop en faire. Sa conscience lui dit que l’usage présumé d’armes chimiques par Damas ne peut rester impuni

John Kerry entouré du secrétaire à la Défense Chuck Hagel (à droite) et du chef d’état-major des armées Martin E. Dempsey. — © à droite
John Kerry entouré du secrétaire à la Défense Chuck Hagel (à droite) et du chef d’état-major des armées Martin E. Dempsey. — © à droite

Depuis qu’il a condamné en termes musclés le régime de Bachar el-Assad, quelques jours après l’attaque chimique perpétrée le 21 août dernier dans la Ghouta orientale, près de Damas, John Kerry n’est plus tout à fait le même. Cette semaine, devant les commissions du Sénat et de la Chambre des représentants, le secrétaire d’Etat américain avait l’air grave et le doigt accusateur de l’avocat pénaliste qu’il fut autrefois.

Le héros du Vietnam anticipe d’emblée la critique: quand on lui demande comment il a pu témoigner contre la guerre en Indochine devant le Congrès ou contre l’invasion de l’Irak lors de sa campagne présidentielle de 2004 et plaider en faveur de frappes contre la Syrie aujourd’hui, il répond calmement: «Ma conscience a parlé en 1971 et elle parle aussi en 2013.» John Kerry, dont les initiales JFK rappellent un autre politique du Massachusetts avec lequel il partage le même progressisme en matière de politique intérieure et le même conservatisme quand il s’agit de politique étrangère, est le visage public de l’attitude interventionniste nouvelle de l’administration de Barack Obama. Son propos est alarmiste et contraste avec les mots plus détachés du président. «L’histoire nous jugerait de façon extrêmement dure si nous fermions les yeux sur l’usage gratuit, par un dictateur, d’armes de destruction massive.» L’indignation passionnée du secrétaire d’Etat ne laisse que peu de place au dialogue. Les enjeux, estime-t-il, sont planétaires. Il en va de la crédibilité du régime d’interdiction des armes de destruction massive.

Sous pression du Congrès, John Kerry vit mal les questions des sceptiques qui ne veulent pas être entraînés dans la même aventure désastreuse qu’en Irak. Elles sont perçues comme des attaques contre son intégrité. Il déclare avoir des preuves irréfutables de l’usage d’armes chimiques par Damas. Or la Maison-Blanche continue de se contenter de la formule «au-delà de tout doute raisonnable».

Pour renforcer son propos, le chef de la diplomatie américaine ajoute qu’en un siècle, seuls deux tyrans – il oublie Mussolini en Ethiopie, les Japonais en Chine et Nasser au Yémen – ont recouru à l’arme chimique avant Bachar el-Assad: Adolf Hitler pour gazer des millions de juifs et Saddam Hussein pour éliminer près de 5000 Kurdes en 1988. En comparant le tyran de Damas à Hitler et un possible refus d’agir à Munich, John Kerry recourt à une rhétorique percutante, mais réductrice qu’ont utilisée avant lui des George W. Bush, Donald Rumsfeld ou encore Rudy Giuliani. Elle pourrait desservir sa cause.

La fougue de John Kerry est celle d’un homme d’Etat sincère, convaincu de la nécessité d’une action militaire. Mais elle ne lève pas plusieurs doutes qui indisposent une majorité d’Américains. Les extrémistes syriens représentent-ils 15 à 20% de l’opposition, comme il semble l’avancer, ou 50% selon des documents classifiés circulant au Congrès? Le patron du Département d’Etat assure qu’il ne s’agit en aucun cas d’une guerre, qu’il exècre. Or jeudi soir, le Pentagone déclarait être prêt à recourir à des bombardiers B-2 et B-52 pour atteindre des cibles beaucoup plus nombreuses que prévu.

A 69 ans, John Kerry n’est pas un novice de la politique. Il a été sénateur pendant près de trois décennies en qualité de membre très respecté de la commission des affaires étrangères. Le président Barack Obama en a fait l’un de ses émissaires pour aller calmer les esprits à Islamabad après le raid sur le repaire d’Oussama ben Laden à Abbottabad au Pakistan en mai 2011. Mais aussi en Afghanistan pour amorcer un dialogue avec les talibans.

Ami de longue date d’Hillary Clinton, il choisit pourtant, lors de la présidentielle 2008, de soutenir Barack Obama avec lequel il partage la vision du monde. Il croit lui aussi en la politique d’engagement avec les ennemis des Etats-Unis. Entre 2009 et 2010, en tant qu’ambassadeur ex officio de la Maison-Blanche, il se rend quatre fois à Damas. Il y rencontre Bachar el-Assad et son épouse Asma. Ils dînent et se rendent à la mosquée ensemble. La politique d’engagement avec Damas est un échec. L’emphase avec laquelle le chef du Département d’Etat dépeint désormais Bachar el-Assad donne l’impression qu’il a quelque chose à se faire pardonner. Or la politique d’engagement du président Obama n’avait a priori rien de honteux. Elle relevait d’une confiance, peut-être exagérée, dans la diplomatie. Un exercice qu’il a tenté à de multiples reprises avec les Russes Sergueï Lavrov et Vladimir Poutine dans l’optique d’une conférence dite de Genève 2.

Pour John Kerry, le Moyen-Orient ne se limite bien sûr pas à la Syrie. Prenant des airs de James Baker, il a multiplié, depuis son arrivée à Foggy Bottom, les navettes diplomatiques pour tenter de relancer un processus de paix inexistant entre Israéliens et Palestiniens. Ce lundi à Londres, après avoir parlementé avec le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, sur les affaires syriennes, il rencontre une nouvelle fois le président palestinien Mahmoud Abbas. Même si le conflit israélo-palestinien n’est manifestement pas sa priorité du jour.

«L’histoire nous jugerait de façon extrêmement dure si nous fermions les yeux» sur l’attaque chimique