Incrédule et effondrée. Jesse, caissière dans un supermarché, aimerait effacer la nuit de mardi de sa mémoire. «Donald Trump est sexiste, raciste et dangereux! Et c’est lui qu’on aura dans le Bureau ovale?», lance-t-elle, dépitée. L’Amérique est aujourd’hui doublement en colère. Il y a ceux, désécurisés, des Blancs peu éduqués surtout, qui ont vu en Donald Trump, le sauveur qu’ils attendaient, celui qui saura les protéger. Et, aujourd’hui, tous les autres, inquiets de voir l’avenir de leur pays entre les mains d’un «danger public», comme le qualifiait-il y a deux jours encore Hillary Clinton. L’Amérique est divisée. Et Donald Trump aura comme premier défi de combler ce fossé.

La journée avait pourtant commencé plutôt calmement, à New York. Les sondages donnaient encore Hillary Clinton, que le FBI a fini par blanchir dans l’affaire des emails privés, gagnante. Vers 16 heures, la chaîne NBC, déploie son impressionnant dispositif à Rockefeller Plaza, réquisitionnant même la patinoire. Un peu plus loin, sur la 5e avenue, la fameuse Trump Tower, d’un noir clinquant, déchire le ciel.

Plus on s’y approche, plus les forces de sécurité, y compris des unités anti-terroristes, sont en nombre. Avec une certaine frénésie devant l’immeuble: des camions-bennes remplis de sable encerclent le building – le milliardaire new-yorkais habite un penthouse qui occupe les trois derniers étages –, des touristes et curieux s’y agglutinent en masse.

«Make America Hate Again»

Au milieu d’eux, des caméras et des tiges de micros, un petit groupe de partisans de Donald Trump, sautillant et scandant des slogans simplistes. Quelques détracteurs aussi. Une poignée seulement, car ils sont régulièrement dispersés par les forces de sécurité. Rosita a choisi de revêtir une robe aux couleurs du drapeau américain. Et brandit une pancarte avec un slogan qui se calque sur celui de Donald Trump: «Make America Hate Again». Tout est dit.

Et puis, à partir de 21h, le choc, le séisme. Dès 22h30, le «New York Times» donnait déjà le milliardaire new-yorkais gagnant à 90%, lorsque l’Ohio a basculé dans le camp républicain. Cette perspective a fait chuter les marchés américains dans les contrats à terme. Acteur d’une campagne d’une rare violence, de tous les excès, Donald Trump, qui s’est tour à tour distingué par des propos outranciers à l’égard des femmes, a remis en question le lieu de naissance de Barack Obama, a qualifié des Mexicains de violeurs et suggéré, après une fusillade dans une boîte gay d’Orlando perpétrée par un Américain de parents afghans, qu’il fallait fermer la porte aux musulmans, est à deux doigts d’accéder à la Maison Blanche. Lui, le milliardaire populiste qui rejette les élites, souvent dépeint comme un poison pour la démocratie. Et qui est soutenu par David Duke, ex-leader du Ku Klux Klan. L’improbable est en train de perdre ses deux premières lettres.

Donald Trump n’est pas dans sa tour, où il avait lancé sa candidature, mais à deux blocs de là, sur la 6e avenue, dans l’hôtel Hilton Midtown. La rue est noire de policiers. Les bruits d’hélicoptères grondent. Un petit groupe de pro-Trump, composé de Noirs, de Latinos et de juifs, s’agite. A l’intérieur, Donald Trump et sa famille savourent le goût de la victoire, qui est en train de se concrétiser. Quelques heures plus tôt, le magnat du pétrole laissait encore entendre que l’élection pourrait être truquée, indice qu’il ne croyait lui-même pas en sa victoire. La plupart des médias étrangers sont restés sur le trottoir: ils n’ont pas obtenu le fameux sésame pour assister à la «Victory Party» du camp Trump.

Dans le QG d’Hillary Clinton, c’est la soupe à la grimace au fur et à mesure que les résultats tombent. Donald Trump remporte la plupart des Swing States. Même la Floride. La candidate démocrate, qui subit une humiliation sans nom, ne se montrera pas sur la tribune, et quitte même les lieux avant les résultats définitifs. Elle ne s’exprimera que le lendemain, très émue, peu avant midi. Sur Twitter, l’ambassadeur de France aux Etats-Unis, démangé par un excès de spontanéité, brûle les étapes et écrit: «Après le Brexit et cette élection, tout est désormais possible. Un monde s’effondre devant nos yeux. Un vertige». Il effacera son tweet quelques instants plus tard.

Un Brexit puissance trois

Brexit: le mot est lâché. Donald Trump lui-même avait annoncé un «Brexit, puissance trois». Cette fois, c’est fait. Il est passé deux heures du matin sur la côte est américaine, et l’homme d’affaires, qui s’est toujours dit ravi de ne pas émerger du «marigot de politiciens corrompus», sait qu’Hillary Clinton ne peut plus rien espérer. Il est élu 45e président des Etats-Unis.

Foule en délire devant le Hilton; larmes et déception du côté de l’immense Javits Convention Center, qui donne sur l’Hudson River; silence inhabituel à Times Square. John, rencontré quelques heures plus tôt alors qu’il vendait des pin’s à l’effigie de son héros, exulte: «Lui, il sait nous écouter!». Pendant ce temps, en Europe, les lève-tôt, se réveillent, interloqués.

«C’est une nuit historique», se félicite Mike Pence, le colistier de Donald Trump, vers 3h du matin. Le nouvel élu, monte à son tour sur la tribune, avec sa famille, au complet. Son ton a changé. L’homme à la chevelure incendiaire est calme, très loin de ses tweets intempestifs et accusateurs. Pas de grimaces, ni de bouche en cul-de-poule pour ponctuer des mots et lâcher des onomatopées. Il est déjà dans ses habits de président. Il veut être le «président de tous les Américains», dit-il. Il remercie Hillary Clinton, qui lui a lancé un coup de fil quelques minutes plus tôt, pour son travail. Plus rien à voir avec l’homme qui affirmait que, lui élu, il la mettrait en prison, en raison de l’affaire de la messagerie privée qu’elle utilisait alors qu’elle était Secrétaire d’Etat.

Dans son premier tweet présidentiel, Donald Trump, suivi par plus de 13 millions de personnes, écrit: «Les hommes et femmes oubliés ne seront plus jamais oubliés. Nous allons nous rassembler comme jamais auparavant». Réconciliateur et rassembleur, c’est la nouvelle image qu’il veut donner, après avoir bénéficié d’un vote identitaire, en agitant le spectre de la peur.

Il mise sur l’hyperbole véridique

Donald Trump a su, avec son penchant pour le protectionnisme et l’isolationnisme, s’adresser aux Américains qui se sentent délaissés. Il a su, avec des propos simples et percutants, parler aux Blancs peu éduqués, qui craignaient de devenir une minorité et se sentaient menacés par les Hispaniques et les Noirs. Sa technique, il l’a lui-même révélée dans son livre «The Art of Deal», publié en 1987: «Je joue avec les fantasmes des gens. J’appelle ça l’hyperbole véridique. C’est une forme innocente d’exagération –  et une technique de promotion très efficace.» Même provocant, Donald Trump a paru plus authentique que sa rivale, mal aimée. Pour répondre, à sa manière, à une colère grandissante.

C’est ce que pense Rebecca, stylée habitante de Flatbush East, dans Brooklyn, un quartier à majorité noire. Métisse, elle est d’origine néerlandaise. Son mari est Afro-américain. «Je suis en colère, cela me rend malade, mais je ne suis pas surprise qu’il ait gagné», confie-t-elle. «La suprématie blanche est en marche. Et pour ceux qui ne le voyaient pas, c’est un réveil très dur! Nous vivons des temps dangereux!». Rebecca précise qu’elle a une green card, et qu’elle a tout intérêt à enclencher son processus de naturalisation, «avant que ce droit nous soit également enlevé».

Désormais, Donald Trump devra proposer un programme et sortir de son rôle d’agitateur. Il ne pourra pas diriger le pays comme il menait campagne, en se comportant comme dans son émission de téléréalité «The Apprentice», avec son légendaire «You’re fired» asséné aux candidats jugés incapables. C’est en janvier qu’il prendra ses quartiers à la Maison Blanche. Mais il y fera déjà un tour jeudi, invité par Barack Obama.