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Ken le Rouge jouera son avenir politique en créant un péage au cœur de Londres

Pour réduire le trafic, le maire de la capitale britannique veut taxer 5 livres par jour le droit de circuler dans le centre-ville. Des districts périphériques crient au scandale mais d'autres agglomérations montrent leur intérêt.

Depuis sa très médiatique élection au nouveau poste de maire du Grand Londres, en mai 2000, Ken Livingstone s'accroche au peu de pouvoir que sa fonction lui confère pour tenter d'imposer le seul grand dossier sur lequel il peut influer: les transports. Si du côté du métro, le bras de fer dans lequel il s'est engagé avec le gouvernement pour empêcher sa privatisation partielle risque fort de tourner à son désavantage, son projet de péage automobile au cœur de Londres progresse. Ken le Rouge veut être, dès janvier 2003, le premier maire d'une grande capitale occidentale à taxer la circulation pour la maîtriser, sinon la réduire, et engranger ainsi des fonds destinés à améliorer le réseau de transports publics. Il joue son avenir politique sur ce sujet: les prochaines municipales sont agendées à 2004.

Il suffit de prendre sa voiture un jour de semaine à travers Londres pour comprendre l'idée du plus célèbre des dissidents travaillistes: il n'est pas rare que l'automobiliste constate, philosophe, que les piétons vont parfois plus vite que lui le long des avenues souvent étroites de la mégapole de huit millions d'habitants. «Je ne veux pas que Londres devienne le Bangkok de l'Europe, tonne Ken Livingstone. Un sous-investissement chronique des gouvernements centraux successifs l'a plongée dans un cercle vicieux: un métro surpeuplé, des bus lents et peu fiables, et des rues totalement congestionnées.»

Le plan de Ken Livingstone, détaillé fin juillet, mais encore en consultation tous azimuts, est théoriquement assez simple: dans un périmètre dessiné sur les deux rives de la Tamise autour du centre commercial, financier et touristique de Londres, les automobilistes qui désireront circuler entre 7 heures du matin et 19 heures devront s'acquitter d'une taxe de 5 livres par jour (environ 12,50 francs), payable le jour même ou à l'avance dans divers points de vente (garages, kiosques, magasins, par téléphone ou Internet). Taxis, deux-roues, livreurs et résidents bénéficieront d'un tarif préférentiel. Un puissant réseau de caméras numériques (le grand dada des autorités britanniques) identifiera les plaques minéralogiques des voitures pénétrant dans la zone d'exclusion, les resquilleurs démasqués étant ensuite lourdement punis (80 livres d'amende). La Greater London Authority escompte à 15% la réduction du trafic dans le périmètre payant. Recette attendue: 200 millions de livres par an.

Simultanément, le maire promet l'augmentation parallèle du nombre de bus (de 200 unités immédiatement, puis de 40% à l'horizon 2011) et de la fréquence des trains de banlieue et des métros, avec en 2015 l'ouverture d'une nouvelle ligne vers le nord-est.

Si le gouvernement soutient officiellement Livingstone, les milieux économiques, Confédération britannique des industries en tête, lui accordent pour l'heure une approbation conditionnée à l'amélioration effective de transports publics en état de déréliction. Or, il faudra dix ou vingt fois plus que le demi-milliard de francs annuel récolté à travers la taxe anti-bouchons pour que l'effort envers les transports publics dépasse la cosmétique.

Face à ces perspectives incertaines et à la détermination affichée de Ken Livingstone, les opposants élèvent la voix. Pour les conservateurs, le péage de Ken le Rouge est antisocial: il pénalise lourdement les automobilistes à faible revenu et les indépendants, et il repousse le problème dans les quartiers périphériques – deux tiers des banlieusards prennent leur voiture pour aller au travail, contre 43% des Londoniens.

Le conseil du grand borough (district) de Wandsworth (conservateur, sud-ouest), déjà très embouteillé, parle de «nouveau mur de Berlin», et promet la désobéissance civile et le chaos. A gauche, on observe que le périmètre évite soigneusement les quartiers riches de Kensington, Chelsea ou Mayfair, mais inclut des zones modestes autour d'Elephant and Castle. Des hommes d'affaires se réjouissent: 5 livres par jour, c'est l'équivalent d'une bonne main après un pot dans un pub de la City, et de plus leur entreprise paiera ce nouvel impôt, les encourageant à prendre encore davantage leur véhicule. Plusieurs spécialistes estiment de surcroît que la comparaison avec Singapour ne tient pas: là-bas, c'est d'abord le coût d'achat d'une voiture (trois fois plus cher qu'à Londres) qui retient les automobilistes potentiels.

Ken Livingstone n'est pas seul à attendre beaucoup de cette initiative: Manchester, Derby, Birmingham, Leeds et d'autres grandes villes anglaises ont déjà fait savoir que si son plan fonctionne à Londres, elles l'appliqueront à leur tour.