L'Ukraine est dans le doute depuis la fin du premier tour de l'élection présidentielle. Dès la fermeture des bureaux de vote, dimanche à 20 heures, des résultats de sondages à la sortie des urnes totalement contradictoires ont été publiés, les uns accordant l'avantage à l'actuel premier ministre, Viktor Ianoukovitch, candidat du pouvoir, et les autres à son rival d'opposition, Viktor Iouchtchenko, libéral et pro-occidental.
Vers 3 heures du matin, ce dernier a harangué ses partisans, en revendiquant la victoire, sur la base d'un décompte parallèle des bulletins de vote, qui lui accorderait près de 50% des voix. Cependant, les chiffres officiels de la Commission électorale centrale sont bien différents: lundi à 17 heures, sur la base de 95% des suffrages dépouillés, l'actuel premier ministre Viktor Ianoukovitch obtenait 41% des voix contre 40% à son rival d'opposition.
Hier, quelques dizaines de sympathisants de Viktor Iouchtchenko se sont relayés sur la place de l'Indépendance, au centre de Kiev. Pourtant, l'opposition avait annulé les appels à manifester initialement lancés pour dimanche soir, puis pour lundi matin.
L'opposition craint en effet que d'éventuelles violences ne servent de prétexte pour annuler le scrutin. Ces dernières semaines, la répression s'est intensifiée contre les militants du mouvement étudiant Pora, qui soutient l'opposition. Dimanche, des blindés avaient été installés dans l'enceinte de la Commission électorale centrale, transformée en camp retranché. Un seul incident à été signalé: un véhicule tout-terrain s'est précipité sur la foule rassemblée devant le siège de la commission, blessant plusieurs personnes.
L'opposition dénonce cependant des cas massifs de fraude et estime que le pouvoir est en train de lui «voler» sa victoire. De nombreuses irrégularités ont été signalées sur les listes électorales, tandis que beaucoup d'étudiants, ne résidant pas dans leur commune d'origine n'ont pas pu voter. Geert Ahrens, le chef de la mission de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui comptait 600 observateurs en Ukraine pour 33 000 bureaux de vote, a relayé ces accusations, en estimant que le scrutin «n'a pas répondu aux normes de l'OSCE, du Conseil de l'Europe et de nombreuses autres normes pour des élections démocratiques».
La campagne pour le second tour, prévu le 21 novembre, risque d'être tendue et, dans les rues de Kiev, de nombreux partisans de Viktor Iouchtchenko continuent à arborer des rubans orange, la couleur de ralliement de l'opposition. Katia, étudiante et militante de Pora, ne veut pas entendre parler d'une victoire de Viktor Ianoukovitch: «Ce serait la fin. L'Ukraine tournerait le dos à l'Europe pour redevenir un satellite de la Russie. On reviendrait au système soviétique que nos parents ont connu.» Sacha, un sportif professionnel de la même génération que Katia, ne l'entend pas de cette oreille: «Avec Ianoukovitch, nous savons où nous irons. L'opposition promet des réformes radicales, mais les gens simples risquent d'être les premières victimes de ces réformes.»