«L'Etat posséderait alors les trois principales chaînes TV du pays. Un tel scénario est inacceptable». Non, ce n'est pas un journaliste, ni un défenseur énamouré de la liberté de la presse qui parle ainsi, mais bien l'oligarque Boris Berezovski. Preuve que l'inquiétude est vive à Moscou après les déclarations d'un haut responsable de l'administration présidentiel lemercredi: selon Vladislav Surkov, en effet, l'Etat envisagerait de racheter NTV, la chaîne appartenant au groupe Media Most de Vladimir Goussinski, mais aussi les parts que Berezovski (49%) contrôle dans la chaîne ORT. La troisième chaîne (RTR) se trouve, elle, déjà entièrement dans les griffes du Kremlin. Racheter en fait n'est pas le mot exact, puisqu'il semble à peu près certain que l'Etat russe n'en aurait pas les moyens. Simplement, il se trouve que NTV, à la suite du lancement de «NTV Plus», la première TV russe par satellite, s'est endettée à hauteur de 211 millions de dollars auprès de Gazprom, le monopole du gaz en mains évidemment étatiques. Selon la presse russe, le Kremlin tenterait de faire pression sur Media Most pour que le groupe échange sa dette contre un transfert de ses actions vers Gazprom, ce qui ferait de ce dernier, c'est-à-dire de l'Etat, le propriétaire effectif de la chaîne.
Il se dit également que l'abandon brusque la semaine dernière de toutes les charges judiciaires pesant contre Vladimir Goussinski serait le résultat d'un deal entre le Kremlin et l'oligarque: les actions NTV en échange d'une trêve judiciaire. Le groupe Media Most, par sa porte-parole Elena Bruni, a vivement réagi hier aux allégations de Surkov, les qualifiant de «mensonges: une fois de plus le Kremlin essaie d'utiliser à son profit la situation des dettes impayées, une situation qu'il a d'ailleurs créée lui-même». Les responsables de Media Most affirment par ailleurs être en mesure de régler ce qu'ils doivent à Gazprom. La rédaction de NTV a également réagi hier par la voix du présentateur vedette Evgueni Kisseliov: «Le Kremlin se trompe s'il pense que les journalistes pourront être pris en otage. Si l'État s'empare de la chaîne, la plupart quitteront NTV.»
Le cas d'ORT est un peu différent: jusqu'à l'entrée en dissidence de Berezovski le mois passé, la chaîne a toujours fait preuve d'une fidélité sans faille envers le pouvoir. Mais ORT est également endettée, à hauteur de 150 millions de dollars, et Boris Berezovski reconnaît être tenté de vendre ses parts à l'Etat, prétendant même en avoir marre de jouer les larbins: «ORT a rempli un rôle purement politique et l'a rempli à 100%. Je suis fatigué de cela.» L'oligarque, drapé dans sa nouvelle toge de farouche démocrate, confiait pourtant hier au quotidien Kommersant qu'il pourrait renoncer à céder ORT «si NTV passait en mains de l'Etat». Mais en aura-t-il les moyens? Le Kremlin possède, comme pour Goussinski, un puissant moyen de chantage sur Berezovski: son implication dans le scandale Aeroflot, avec la semaine dernière le rapatriement très opportun vers Moscou de la volumineuse documentation en possession de la justice helvétique. Le quotidien Sevodnia estimait hier que «très vraisemblablement le Kremlin sortira vainqueur de ce bras de fer.»