Moyen-Orient
A l'heure de pactiser avec Téhéran, les Etats-Unis se sont sentis obligés de promettre une aide militaire substantielle à leurs alliés arabes du Golfe

Une prolifération chasse l’autre au Moyen-Orient. L’accord sur le nucléaire iranien, conclu le 14 juillet dernier à Vienne, est censé empêcher pour longtemps Téhéran de se munir de la bombe atomique et donc épargner à la région une course aux armements de ce type. Mais dans la dernière phase des négociations, les Etats-Unis se sont sentis obligés de donner des garanties de sécurité à leurs alliés arabes du Golfe, qui voient une menace dans tout succès de leur voisin perse. Or parmi ces garanties figure la promesse de leur vendre davantage d’armes classiques. Une inflation à laquelle l’Iran ne pourra manquer de répondre.
L’Iran et les pays membres du Conseil de coopération du Golfe sont en situation de guerre froide. Comme les Etats-Unis et l’Union soviétique pendant une bonne partie du XXe siècle, ils s’opposent radicalement sur les plans idéologique et stratégique, tout en conservant un minimum de prudence sur le terrain militaire. A la confrontation directe, ils ont préféré jusqu’ici se battre sur des théâtres tiers et par alliés interposés, que ce soit en Irak, en Syrie, au Bahreïn et au Yémen. Une attitude qui a exacerbé des conflits en eux-mêmes déjà très meurtriers.
L’accord entre les Etats-Unis et l’Iran éveille les pires craintes
Dans ce contexte, l’accord passé cet été entre les Etats-Unis et l’Iran a éveillé les pires craintes. De l’Arabie saoudite aux Emirats arabes unis en passant par le Qatar, les pays membres du Conseil de coopération du Golfe l’ont interprété comme l’amorce possible d’un rapprochement entre leur principal allié, Washington, et leur archi-ennemi, Téhéran. Intolérable. Le président Barack Obama a tenu à les rassurer en multipliant les gestes à leur égard. Il les a notamment invités en mai dernier à Camp David, où il leur a promis une augmentation de l’aide militaire américaine dans les domaines de la défense antimissiles, des menaces maritimes et de la cyberguerre.
Pas de quoi apaiser d’un coup la colère suscitée dans la Péninsule arabique. A Camp David, le principal invité du sommet, le roi Salmane d’Arabie saoudite, a brillé par son absence. Puis, non content de ce premier camouflet infligé à Washington, il a envoyé à Moscou l’un de ses fils, le vice-prince héritier et ministre de la Défense Mohammed ben Salmane. Une manière de mettre les Etats-Unis sous pression et de leur signifier que le très riche royaume saoudien a les moyens de s’offrir d’autres alliances. La manœuvre a réussi. Lorsque le souverain s’est finalement rendu à Washington début septembre, il a obtenu de la Maison-Blanche un contrat d’armement d’un milliard de dollars, destiné officiellement à le soutenir dans son combat contre l’Etat islamique et les rebelles yéménites houthistes.
«Ces livraisons d’armes vont encore accroître le déséquilibre existant en matière d’armement entre l’Iran et le Conseil de coopération du Golfe, observe le chercheur suisse basé au Qatar Jean-Marc Rickli, professeur assistant au King’s College de Londres. Or, ce déséquilibre est déjà flagrant aujourd’hui, puisqu’il varie, selon les critères retenus, entre un à huit et un à dix.»
Les sanctions économiques décrétées à l’encontre de l’Iran l’ont contraint à se concentrer sur quelques capacités de niche qui lui fournissent un effet de levier, telles les missiles, les mines sous-marines, les vedettes rapides, les capacités cybernétiques et le soutien à des milices locales alliées.
«Les armées arabes du Golfe ont investi dans les équipements les plus modernes, confie le chercheur. Elles disposent par exemple d’hélicoptères Apache et du système de défense antimissiles Patriot – les Emirats arabes unis vont même acquérir à la fin de cette année le système de défense antimissiles à haute altitude Thaad. Et c’est sans compter les promesses de vente de Rafales au Qatar et d’Eurofighters au Koweït. De quoi faire saliver la plupart des Etats européens. En comparaison, l’Iran possède un matériel vétuste. Les sanctions économiques décrétées à son encontre l’ont contraint à se concentrer sur quelques capacités de niche qui lui fournissent un effet de levier, telles les missiles, les mines sous-marines, les vedettes rapides, les capacités cybernétiques et le soutien à des milices locales alliées.»
L’Iran se retrouve aujourd’hui devant un nouveau défi mais aussi une nouvelle opportunité. Au moment où ses voisins arabes renforcent leur arsenal, il va pouvoir profiter de la levée des sanctions pour augmenter sensiblement ses ressources financières et importer davantage d’équipements sensibles. «Le régime aura très certainement pour priorité de renflouer l’économie nationale, assure Jean-Marc Rickli. Il est directement menacé par l’irritation d’une population qui a subi de nombreuses privations ces dernières années. Mais il ne fait guère de doute que, dans un environnement marqué par une très forte tension avec ses voisins et une multiplication des conflits, il va réserver une partie de ses nouvelles rentrées à renouveler son armement.»
La Russie s’introduit dans la brèche
La Russie n’a pas attendu pour s’introduire dans la brèche. Elle a annoncé en plusieurs temps dans le courant de l’année la reprise d’un vieux contrat gelé en 2010 pour cause de sanctions internationales: la livraison à Téhéran, pour 800 millions de dollars, de plusieurs batteries de missiles antimissiles S-300 PMU-1, des armes de défense anti-aérienne automatique sol-air d’une portée de 150 kilomètres. Ce matériel très efficace (plus de 90% d’interceptions) est particulièrement bien adapté pour contrer des attaques en provenance de pays proches. A savoir, dans le cas de l’Iran, des Etats sunnites situés de l’autre côté du golfe Persique.
«Ces différents contrats renforcent des dynamiques à l’œuvre depuis l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003, conclut Jean-Marc Rickli. La région avait été dominée précédemment par trois pôles, l’Irak, l’Iran et l’Arabie saoudite. Il n’en reste désormais plus que deux, l’Iran et l’Arabie saoudite, dont la confrontation est d’autant plus ouverte. Au grand bénéfice des marchands d’armes. Le résultat de l’accord sur le nucléaire iranien aura été de geler un processus de prolifération nucléaire au profit d’une course à l’armement conventionnel.»