Les avocats de Holcim, la multinationale cimentière suisse basée à Jona dans le canton de Saint-Gall, peuvent préparer leurs valises pour Paris. Ils y passeront sans doute beaucoup de temps dans les mois à venir, après la mise en examen de Lafarge, ce jeudi, pour «financement du terrorisme» et «complicité de crimes contre l’humanité».

En droit, la responsabilité pénale du cimentier français - fusionné avec Holcim en 2015 pour donner naissance à un géant dont le chiffre d'affaires avoisine les 35 milliards d’euros - n’est pas transmissible à la nouvelle entité franco-suisse, qui a d’ailleurs entrepris de déménager son siège parisien historique du XVIe arrondissement. Mais ces accusations, portées par une plainte de l’association Sherpa dirigée par l’avocat français William Bourdon, risquent de faire tanguer sérieusement la réputation de l’entreprise dont huit cadres – y compris son ancien PDG français Bruno Lafont – ont déjà été mis en examen. Une caution de 30 millions d’euros a dû être versée, selon une source judiciaire citée par Le Monde.

Aveuglement et cupidité

Les faits reprochés à Lafarge sont d’une extrême gravité. L’entreprise aurait, entre 2012 et 2014, versé plusieurs millions de dollars au groupe Etat islamique afin de poursuivre les activités de sa cimenterie de Jalabiya, en Syrie, dans des zones alors contrôlées par les insurgés islamistes. L’association Sherpa, à l’origine de l’information judiciaire ouverte en juin 2017, estime que cet aveuglement a pour origine la cupidité financière des dirigeants de Lafarge de l’époque, soucieux non seulement de ne pas fermer la cimenterie, mais de se positionner pour une éventuelle reconstruction du pays si les rebelles l’avaient emporté contre le régime de Bachar el-Assad.

C’est la première fois qu’une entreprise est mise en examen pour complicité de crimes contre l’humanité dans le monde, ce qui marque un pas décisif dans la lutte contre l’impunité des multinationales

Association Sherpa

L’ex-direction du cimentier invoque pour sa part une collaboration avec les services de renseignement français, sans en apporter jusque-là la moindre preuve. Désormais à la tête de la multinationale, la direction de Holcim est d’autant plus concernée par cette affaire que le cimentier suisse, avant même d’acquérir Lafarge, avait intégré le club des entreprises partenaires du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), très actif sur le terrain dans le conflit syrien.

«C’est la première fois qu’une entreprise est mise en examen pour complicité de crimes contre l’humanité dans le monde, ce qui marque un pas décisif dans la lutte contre l’impunité des multinationales opérant dans des zones de conflits armés», a déclaré l’association Sherpa et le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR), partenaires dans le dépôt de la plainte initiale et partie civile dans ce dossier. Les deux organisations appellent Lafarge «à prendre ses responsabilités» en ouvrant un fonds d’indemnisation pour les anciens employés de sa filiale syrienne «afin que les victimes voient leurs préjudices rapidement réparés». Cette question est en effet cruciale en France où plusieurs parents de victimes des attentats du Bataclan de novembre 2015 envisagent de se porter partie civile contre le cimentier et ses anciens dirigeants.