C’était il y a quelques jours. La justice autorisait l’homme d’affaires Francisco Correa a puiser dans son compte ouvert auprès de Crédit Suisse, à Genève. Le montant à prélever? 271 000 euros, destinés à indemniser le gouvernement régional de Valence pour des contrats truqués lors de l’organisation d’une foire du tourisme, dans les années 2000. Quelques jours auparavant, le 8 mai, c’étaient deux millions d’euros que le même Correa était autorisé à rapatrier de Suisse pour faire face à une autre condamnation, en lien avec le financement illégal du Parti populaire (PP).

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Francisco Correa est l’un des principaux accusés dans la gigantesque affaire de corruption qui a connu son paroxysme vendredi, avec le renversement par le Parlement du premier ministre Mariano Rajoy. Cette affaire, qui possède d’innombrables ramifications, est sur le devant de la scène espagnole depuis plus de huit ans. C’était le juge Baltasar Garzon (démis depuis lors) qui avait ouvert les feux en 2009. La réaction d’un Mariano Rajoy qui n’était pas encore premier ministre à l’époque, mais qui tenait déjà les rênes du Parti populaire, est restée gravée dans les mémoires: «Tout ceci n’est pas un complot du PP, mais un complot contre le PP», assénait-il.

Un dossier de 1700 pages

Il a fallu 1700 pages à la justice espagnole pour démentir Rajoy. Et encore, le verdict publié la semaine dernière – qui reste sujet à un possible recours – ne concerne que la «première période» de ce qui est devenu en Espagne, par blague, le «cas Gürtel» («Correa», signifie «ceinture» en espagnol, ou «Gürtel» en allemand). Francisco Correa a été condamné à 51 ans de prison par les magistrats de l’Audience nationale. L’autre grand accusé est Luis Barcenas, l’ancien trésorier du PP, condamné à 33 ans de prison et au remboursement de 44 millions d’euros. En tout: 29 condamnés, pour un total de 351 années de prison. 

Signe de la profondeur des dégâts: les plus de deux millions d’euros sollicités à Crédit Suisse ces derniers jours concernent encore des affaires connexes, qui n’étaient pas couvertes par ce verdict. Selon les informations disponibles, les comptes bancaires ouverts en Suisse par Francisco Correa recelaient plus de 21 millions d’euros. Alors que la communauté autonome valencienne était aux mains du PP, l’homme y avait à l’époque beaucoup d’amis. Concessions irrégulières de services publics, trafic d’influence, commissions pouvant atteindre 40% de la valeur des contrats… Correa, à la belle époque, était propriétaire entre autres d’une cinquantaine de résidences, en Espagne, aux Etats-Unis ou en Amérique latine, de deux bateaux et d’une vingtaine d’automobiles de luxe.

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L’homme d’affaires n’était pas le seul à avoir aussi un important port d’attache à Genève. L’enquête de la justice, mais également les aveux des divers accusés tâchant de sauver leur propre peau, ont mis en évidence les fréquents voyages que faisait Luis Barcenas dans la cité de Calvin, mallette(s) emplie(s) de billets à la main. Selon le juge espagnol Pablo Ruiz, le trésorier du PP disposait à Genève d’un compte auprès de la Dresdner Bank, garni d’un montant variant entre 11 et 22 millions d’euros entre les années 2005 et 2009. Les cadres de la banque ne manquaient pas une occasion d’aller rendre visite à Madrid à celui qu’ils considéraient comme un client particulièrement «important».

Ventes d'objet d'art

Pour justifier sa fortune, Barcenas mettait en avant des opérations immobilières ou des ventes d’objets d’art. L’homme n’apportait jamais de factures prouvant la légalité de ces transactions. Mais alors que les cadres de la banque commençaient à avoir des doutes et demandaient «davantage d’information» aux collaborateurs qui traitaient avec lui, Barcenas se faisait menaçant: le client espagnol «possède d’autres gros comptes» à Genève, mettait en garde une responsable, dans un «mémo» de la banque daté du 31 août 2005 et publié en Espagne. Moralité: mieux valait se montrer peu regardant envers ce client, au risque sinon qu’il aille voir ailleurs…

Ces millions d’euros qui transitaient par les comptes suisses servaient à alimenter une «caisse noire», finançant le PP hors de tout cadre légal, comme l’a démontré la justice. Jusqu’au bout, Mariano Rajoy aura pourtant nié être au courant de ces procédés. «De la corruption, il y en a partout. Laissons cela et occupons-nous de ce qui est important pour les Espagnols», disait-il jeudi devant le Parlement, avant d’être destitué.