Le voilier est un navire-école appartenant à l'Université de Mourmansk. Il a à son bord un équipage de 176 personnes, dont 100 cadets de l'Université et quinze élèves d'une école de Moscou en stage âgés de 12 à 14 ans. Dans l'esprit des parents, la saisie du voilier a vite été assimilée à un rapt d'enfants. Et une petite foule s'est rassemblée samedi devant l'ambassade de France à Moscou aux cris de: «Rendez-nous nos enfants!» Dans la même veine, le maire de Moscou, Iouri Loujkov, a déclaré qu'il allait écrire à Jacques Chirac pour dénoncer la «barbarie». Tandis que le recteur de l'Université de Mourmansk menaçait, lui, de donner sa démission si jamais le voilier, fleuron de son établissement, devait être mis aux enchères. «Si jamais notre Etat n'est pas en mesure de s'opposer à la violation des règles internationales, s'ils saisissent le Sedov, moi, recteur, je démissionne», a-t-il claironné samedi sur les ondes d'Echo de Moscou. Voilà un rappel de l'impuissance de l'Etat russe qui doit sonner très mal aux oreilles de Vladimir Poutine qui, depuis qu'il est président, s'est donné pour tâche de construire un pouvoir fort.
A l'origine, l'affaire est commerciale et n'implique pas du tout la France. La société Noga et l'Etat russe ont signé en 1991 un contrat selon lequel Noga fournissait des produits alimentaires à la Russie, frappée de pénuries, en échange de produits pétroliers. Un an plus tard, la Russie, qui lors de la signature avait déclaré renoncer à son immunité, cessait ses livraisons unilatéralement. L'affaire était portée devant un Tribunal international arbitral à Stockholm, qui donnait raison à Noga et condamnait en 1997 la Russie à payer 63 milliards de dollars de dédommagements à la firme suisse.
C'est là que la France entre en scène. Car cette décision de justice suédoise a été déclarée applicable par la justice française, alors qu'elle avait été rejetée, selon le vice-ministre russe des Finances, par les Etats-Unis, le Luxembourg et la Grande-Bretagne. C'est ainsi que les comptes bancaires de l'ambassade de Russie, de la représentation commerciale russe et de l'ambassade de Russie auprès de l'Unesco ont été gelés en mai par un tribunal parisien. Un tribunal de Brest a lui aussi donné raison à Noga en considérant par assimilation que la Fédération de Russie était indirectement propriétaire du Sedov, qui appartient à l'Université.
Pour Moscou, toute cette affaire est illégale. Le droit maritime, font ressortir les autorités, aurait exigé que Paris informe l'ambassade de Russie de son intention de capturer le navire-école. D'autant plus que ce dernier était invité par la France à participer à la grande fête maritime de Brest. Finalement, le Sedov sera de la partie puisque le Tribunal de Brest a provisoirement levé la saisie, autorisant le bateau à naviguer pour Brest 2000 et son prolongement à Douarnenez. Mais les répercussions sont incommensurables.
Cet imbroglio juridico-politique a refroidi encore un peu plus les relations franco-russes distendues depuis l'arrivée au pouvoir de Poutine, en raison de la guerre en Tchétchénie que Paris a fermement dénoncée. Depuis son élection, le président russe a fait le tour de nombreuses capitales en prenant bien soin d'éviter la France, bien que présidente en exercice de l'Union européenne, où il ne prévoit pas de se rendre à court terme.