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L'affaire du «Sedov» refroidit encore plus les relations franco-russes

La Russie a très mal réagi à la saisie à Brest du navire-école, suite à la plainte de l'homme d'affaires Nessim Gaon. Un tribunal doit encore statuer sur le sort du bateau la semaine prochaine

La Russie a de justesse évité l'humiliation suprême. Le Sedov, saisi jeudi par voie d'huissier à Brest 2000, a repris la mer sans être flanqué d'une trop visible escorte de la Marine nationale. La surveillance du plus grand voilier du monde se limitera donc à la présence de deux officiers français chargés de contrôler ses déplacements jusqu'à son retour jeudi à Brest, où un tribunal statuera de nouveau sur son sort. L'honneur est donc sauf. Mais la blessure reste ouverte.

Moscou n'avait pratiquement pas réagi ce printemps lorsque la justice française, saisie par la société suisse d'import-export Noga, présidée par l'homme d'affaires Nessim Gaon, qui réclame une dette impayée de 1,4 milliard de dollars, avait décidé de geler les comptes bancaires de l'ambassade russe à Paris. La saisie du Sedov, invité pour la fête maritime de Brest, a par contre enflammé les esprits.

Le voilier est un navire-école appartenant à l'Université de Mourmansk. Il a à son bord un équipage de 176 personnes, dont 100 cadets de l'Université et quinze élèves d'une école de Moscou en stage âgés de 12 à 14 ans. Dans l'esprit des parents, la saisie du voilier a vite été assimilée à un rapt d'enfants. Et une petite foule s'est rassemblée samedi devant l'ambassade de France à Moscou aux cris de: «Rendez-nous nos enfants!» Dans la même veine, le maire de Moscou, Iouri Loujkov, a déclaré qu'il allait écrire à Jacques Chirac pour dénoncer la «barbarie». Tandis que le recteur de l'Université de Mourmansk menaçait, lui, de donner sa démission si jamais le voilier, fleuron de son établissement, devait être mis aux enchères. «Si jamais notre Etat n'est pas en mesure de s'opposer à la violation des règles internationales, s'ils saisissent le Sedov, moi, recteur, je démissionne», a-t-il claironné samedi sur les ondes d'Echo de Moscou. Voilà un rappel de l'impuissance de l'Etat russe qui doit sonner très mal aux oreilles de Vladimir Poutine qui, depuis qu'il est président, s'est donné pour tâche de construire un pouvoir fort.

A l'origine, l'affaire est commerciale et n'implique pas du tout la France. La société Noga et l'Etat russe ont signé en 1991 un contrat selon lequel Noga fournissait des produits alimentaires à la Russie, frappée de pénuries, en échange de produits pétroliers. Un an plus tard, la Russie, qui lors de la signature avait déclaré renoncer à son immunité, cessait ses livraisons unilatéralement. L'affaire était portée devant un Tribunal international arbitral à Stockholm, qui donnait raison à Noga et condamnait en 1997 la Russie à payer 63 milliards de dollars de dédommagements à la firme suisse.

C'est là que la France entre en scène. Car cette décision de justice suédoise a été déclarée applicable par la justice française, alors qu'elle avait été rejetée, selon le vice-ministre russe des Finances, par les Etats-Unis, le Luxembourg et la Grande-Bretagne. C'est ainsi que les comptes bancaires de l'ambassade de Russie, de la représentation commerciale russe et de l'ambassade de Russie auprès de l'Unesco ont été gelés en mai par un tribunal parisien. Un tribunal de Brest a lui aussi donné raison à Noga en considérant par assimilation que la Fédération de Russie était indirectement propriétaire du Sedov, qui appartient à l'Université.

Pour Moscou, toute cette affaire est illégale. Le droit maritime, font ressortir les autorités, aurait exigé que Paris informe l'ambassade de Russie de son intention de capturer le navire-école. D'autant plus que ce dernier était invité par la France à participer à la grande fête maritime de Brest. Finalement, le Sedov sera de la partie puisque le Tribunal de Brest a provisoirement levé la saisie, autorisant le bateau à naviguer pour Brest 2000 et son prolongement à Douarnenez. Mais les répercussions sont incommensurables.

Cet imbroglio juridico-politique a refroidi encore un peu plus les relations franco-russes distendues depuis l'arrivée au pouvoir de Poutine, en raison de la guerre en Tchétchénie que Paris a fermement dénoncée. Depuis son élection, le président russe a fait le tour de nombreuses capitales en prenant bien soin d'éviter la France, bien que présidente en exercice de l'Union européenne, où il ne prévoit pas de se rendre à court terme.