genève internationale
Chef de la Mission permanente suisse à Genève, l’ambassadeur Alexandre Fasel représente la Confédération auprès des organisations internationales et fait le lien entre Berne et Genève. Ces dernières semaines, il a été accaparé par l’organisation de la conférence de paix sur la Syrie, dont il tire un premier bilan encourageant. Entretien

L’ambassadeur des
bons offices
Chef de la Mission permanente suisse à Genève, l’ambassadeur Alexandre Fasel représente la Confédération auprès des organisations internationales et fait le lien entre Berneet Genève.Ces dernières semaines, il a été accaparé par l’organisation de la conférence de paix sur la Syrie
Le Temps: Quel bilan tire l’hôte suisse du début des négociations sur la Syrie?
Alexandre Fasel: Du point de vue de l’accueil, tout s’est bien déroulé. La Suisse est le lieu idéal pour des négociations aussi sensibles. Par rapport à nos concurrents, nous avons pour nous la neutralité, le fait que nous n’avons pas d’ambition géopolitique, ainsi que la crédibilité de notre politique de paix et de bons offices. Les délégations du gouvernement et de l’opposition se sentent bien à Genève et c’est essentiel. Dans ce genre de cas, il faut à tout prix éviter les éléments irritants, susceptibles de perturber les discussions et de servir de prétexte à l’une ou l’autre partie.
– La conférence Genève 2 a tout de même commencé à Montreux, faute de place dans les hôtels genevois, qui étaient complets avec le Salon de la haute horlogerie…
– La Suisse n’était pas maîtresse du calendrier. Lorsque la date de Genève 2 a été confirmée, nous avons rapidement vu qu’il y aurait un problème. Nous avons donc proposé une solution alternative. Je ne vous cache pas qu’assurer le déplacement et la sécurité d’une quarantaine de ministres depuis l’aéroport de Cointrin jusqu’à Montreux a mis les capacités de notre pays à rude épreuve. D’autant que le Forum économique de Davos s’ouvrait le même jour.
– Les négociations entre le gouvernement syrien et l’opposition semblent complètement bloquées. Qu’en pensez-vous?
– La conférence Genève 2 a commencé et c’est un succès en soi. N’oublions pas qu’il a fallu dix-huit mois pour amener à la table des négociations le gouvernement et l’opposition syrienne. Mais nous sommes au début d’un processus qui sera extrêmement long et difficile. Les échanges ont été très durs, chacune des deux délégations a essayé de provoquer l’autre. Mais, au final, personne n’a quitté la table des négociations et les discussions vont reprendre le 10 février à Genève.
– Même sur les questions d’accès humanitaire, où l’on pensait qu’un terrain d’entente pouvait être plus facilement trouvé, les discussions n’ont produit aucun résultat. Est-ce une déception pour la Suisse, qui est dépositaire des Conventions de Genève?
– Le conflit syrien est tellement profond et les positions tellement opposées que la question humanitaire ne peut pas être extraite du conflit. C’est rageant, mais le médiateur Lakhdar Brahimi reviendra sur ce dossier vital.
– Quel est le rôle de la Suissedans ces pourparlers?
– A Genève, à part les deux délégations syriennes et Brahimi, il n’y avait personne dans la salle. Il est prévu que les parties puissent faire appel aux Américains et aux Russes, qui sont les initiateurs du processus. Nous, les Suisses, sommes à disposition du médiateur. A sa demande, nous avons organisé deux ateliers avec des membres de l’opposition, à Istanbul mi-novembre et à Montreux quinze jours plus tard. Ces cours ont rassemblé une vingtaine de participants: des membres de la Coalition nationale syrienne [qui négocie à Genève], mais aussi des représentants du Comité de coordination national pour le changement démocratique [opposition tolérée par le régime, mais qui a refusé de se rendre à Genève]. Certains participants font partie de la délégation de l’opposition. Si celle-ci avait pu être formée plus tôt, un troisième atelier aurait été envisageable.
– En quoi ont consisté ces cours?
– C’était une formation aux techniques de base de la négociation de paix. Ces ateliers ont été organisés par les spécialistes de la division de la sécurité humaine du Département fédéral des affaires étrangères, des gens qui sont eux-mêmes chargés de certaines médiations dans le monde.
– Avez-vous pris des mesures particulières pour accueillir les deux délégations syriennes?
– En plus de faire en sorte que rien ne vienne perturber les discussions, il faut traiter chacun sur un pied d’égalité. Par exemple, à Genève, les négociations ont eu lieu dans une salle du Palais des Nations qui a l’avantage d’avoir deux portes. Les délégations évitaient ainsi de se croiser, et l’ONU ne froissait personne, car les deux portes sont de la même taille. Pour des raisons de sécurité, il n’était pas question de loger le gouvernement et l’opposition au même endroit. A Montreux, nous avons fait en sorte que les deux hôtels soient d’un standing équivalent et à distance égale du centre de conférences.
– Pourquoi est-il important pour la Suisse d’héberger ce type de conférence?
– Nous le faisons parce que c’est en parfaite adéquation avec notre politique étrangère. Notre ambition est de mettre à disposition de la communauté internationale une place de gouvernance de premier ordre. Un lieu où les discussions peuvent se tenir en toute sécurité et en toute confiance. Ce n’est pas seulement altruiste, car, du même coup, nous faisons avancer notre politique en matière de paix, de droits de l’homme, de développement ou de défense de l’environnement, des principes inscrits dans la Constitution. Nous acquérons aussi un poids dans le concert des nations bien supérieur à la taille et à la puissance économique et financière de la Suisse. Lorsque nous avons rejoint les Nations unies, Kofi Annan, le secrétaire général de l’époque, faisait déjà le constat suivant: la Suisse boxe dans une catégorie supérieure. Sans compter les gains en termes d’image pour le tourisme et les retombées économiques de la Genève internationale, à laquelle ces grands événements servent de vitrine.
– Et le coût, pour la Suisse, d’une conférence comme Genève 2?
– Dans ce genre de cas, les cantons demandent l’assistance de la Confédération et de l’armée. Berne met aussi la main à la poche sur la base d’un décompte détaillé, qui n’a pas encore été établi.
– Avant les négociations sur la Syrie, il y a eu celles sur le nucléaire iranien et le sommet Kerry-Lavrov sur les armes chimiques syriennes. Comment expliquez-vous le retour de Genève sur le devant de la scène diplomatique?
– C’est la conjoncture géopolitique qui détermine si les Etats veulent entamer des négociations sérieuses. En revanche, nous devons tout faire pour soigner notre capacité d’accueil, pour être prêts lorsqu’on a besoin de nous. C’est tout le débat que nous avons mené entre la Confédération, le canton et la Ville sur le renforcement de la Genève internationale. La réflexion a abouti en juin dernier à un rapport conjoint qui définit plusieurs axes prioritaires, comme renforcer le dispositif d’accueil, aider les pays qui n’y sont pas encore représentés à ouvrir une mission à Genève, ou décloisonner le travail des organisations internationales.
– Les prochaines étapes?
– Le DFAE va saisir le Conseil fédéral, en avril, d’un projet de message visant à concrétiser les axes stratégiques du rapport conjoint. Il s’agit, entre autres, de renforcer le dispositif d’accueil, de développer le réseau de formation, réflexion et savoir-faire genevois et suisse, de viser à l’universalité des représentations des Etats, ou encore d’améliorer la visibilité de ce que le président de la Confédération, Didier Burkhalter, appelle la Suisse internationale par Genève.
«Nous devons tout faire pour soigner notre capacité d’accueil, pour être prêts lorsqu’on a besoin de la Suisse»