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La mort par overdose de l’acteur oscarisé Philip Seymour Hoffman jette une lumière crue sur un phénomène nouveau: l’explosion de la consommation de cet opiacé

L’Amérique retrouve les démons de l’héroïne
Etats-Unis La mort par overdose de l’acteur Philip Seymour Hoffman jette une lumière crue sur un phénomène nouveau
La consommation de cet opiacé explose
Des dizaines de petits sachets estampillés «As de pique» ou «As de cœur» en lettres violettes, des seringues utilisées trouvées dans une poubelle. La mort dimanche par overdose de Philip Seymour Hoffman, 46 ans, dans son appartement du West Village de Manhattan, pourrait apparaître comme l’acte isolé d’un acteur oscarisé qui a succombé à une rechute dans l’addiction. Le triste épisode n’est pourtant que l’aspect le plus visible et médiatisé d’un phénomène qui est en train de ronger l’Amérique et que les spécialistes décrivent déjà comme une épidémie: l’explosion de la consommation d’héroïne.
Les scènes de junkies et de dealers hantant les avenues de l’Upper West Side de New York ou des environs de Times Square dans les années 1970 semblent évoquer une époque révolue. Or le fléau est loin d’avoir été éradiqué, même si la drogue illégale la plus utilisée aux Etats-Unis demeure la marijuana. De 2007 à 2012, le nombre d’héroïnomanes aux Etats-Unis a augmenté de 80%, passant de 373 000 à 669 000, selon les chiffres fournis par la Substance Abuse and Mental Health Services Administration. Les overdoses ont augmenté de 55% entre 2000 et 2010, pour atteindre les 3100 cas.
Le 8 janvier, le gouverneur démocrate du Vermont, Peter Shumlin, a consacré l’intégralité de son discours de législature à la grave crise que connaît son Etat en matière de toxicomanie. Deux fois plus de personnes sont mortes d’une overdose liée à l’héroïne en 2013 que l’année précédente, a-t-il martelé. Depuis l’an 2000, le Vermont a enregistré une hausse de 770% du nombre de toxicomanes accros aux opiacés. 80% des personnes incarcérées dans cet Etat du nord-est, connu pour sa nature et ses stations de ski, ont commis un crime lié à la consommation de drogues illégales. Baltimore, ville du Maryland forte de 621 000 habitants, compterait 48 000 héroïnomanes. Elle est un carrefour de la drogue en provenance d’Amérique du Sud.
Si, voici trente ans, la consommation d’héroïne concernait avant tout les villes et zones urbaines, elle s’est aujourd’hui «démocratisée» et affecte même les zones rurales, à l’exemple de l’Etat du Vermont, et les banlieues riches ou pauvres. Toutes les couches de la société sont happées par le phénomène, mais si les consommateurs sont de plus en plus jeunes, ils tendent aussi à être plus aisés.
Les causes du fléau sont multiples. Depuis quelques années, les autorités américaines ont intensifié la répression contre l’utilisation abusive d’antidouleurs à base d’opioïdes et ont agi auprès des médecins qui prescrivent ce type de médicaments. Le prix des antidouleurs est devenu prohibitif. Une pilule de 80 mg d’OxyContin, par exemple, coûte près de 100 dollars alors que l’héroïne, dans la rue, coûte de moins en moins cher. A New York, un sachet s’achète pour 6 dollars. En Nouvelle-Angleterre, il se vend pour 30 voire 40 dollars. La corrélation est indéniable. Alors que la consommation d’antidouleurs a chuté, celle d’héroïne a augmenté en proportion. Ils étaient 566 000 à utiliser régulièrement de l’OxyContin en 2010. Leur nombre a chuté à 358 000 en 2012, selon le National Survey on Drug Use and Health. Le lien entre les deux drogues est même plus étroit. Environ 80% des Américains ayant recouru à l’héroïne pour la première fois avaient déjà consommé des antidouleurs prescrits sur ordonnance.
La production a aussi explosé. Le Mexique, qui, à côté de la Colombie, reste un gros fournisseur des Etats-Unis, a fortement accru sa production d’héroïne ces dernières années. La poudre blanche noie désormais tout le pays. A la frontière américano-mexicaine, les saisies se multiplient. Entre 2008 et 2012, elles ont augmenté de 242%. A New York, toujours considérée comme une plaque tournante et où le phénomène est en pleine résurgence depuis 2009, des laboratoires, notamment dans le Bronx, à Riverdale ou Midtown, sont restés très actifs pour couper une héroïne souvent plus pure qu’il y a trente ans. Certains auraient une capacité de production quotidienne de centaines de milliers de sachets, qui portent des noms aussi loufoques que «NFL», «Governement shutdown» ou encore «Olympics 2012». La police des stupéfiants de New York a saisi 144 kilos d’héroïne en 2013.
Le cocktail le plus souvent mortel, dont les consommateurs n’ont souvent pas conscience, est fait d’héroïne et de fentanyl, un opioïde cent fois plus puissant que la morphine. Ce mélange aurait causé la mort récente de 37 personnes dans le Maryland et de 22 autres en Pennsylvanie.
La consommation d’antidouleurs a chuté, celle d’héroïne a augmenté en proportion