«La prochaine réplique d’une certaine intensité risque de mettre toute L’Aquila par terre. Regardez les maisons, les murs semblent gonflés, prêts à exploser.» Giovanni fait partie des secours arrivés dans la nuit de dimanche à lundi depuis Tagliacozzo, une ville voisine des Abruzzes. Avec son équipe, il tente depuis plusieurs heures d’extraire des décombres les deux voisins de la bijouterie de la via delle Aquile dans le centre historique de la cité: «Il n’y a plus beaucoup d’espoir, mais il faut faire vite avant de nouvelles secousses.»
Un peu plus haut, dans la via Garibaldi, Adolfo Santa, employé de mairie, fait le même constat. Dans ce petit quartier qui mélange bâtiments médiévaux et du XVIe siècle, quatre personnes sont mortes: «Des personnes âgées n’ont pas eu le temps de sortir dans la rue.»
Hier soir, les sources hospitalières italiennes indiquaient que le tremblement de terre qui, à 3h30, a ravagé L’Aquila et sa région, a fait plus de 150 morts, 1500 blessés et 50 000 sans-abri. Sa magnitude était de 6,2 sur l’échelle de Richter.
Dans le centre historique, un nombre innombrable de maisons ont été éventrées et tous les édifices sont aujourd’hui branlants. Les tuiles, les corniches, les soubassements des fenêtres sont sur le point de céder. Même la coupole de l’église baroque de Santa Maria des Ames Saintes, sur la place centrale de L’Aquila, s’est effondrée. Dans la maison d’à côté, un drap pend d’une fenêtre du premier étage comme un dernier témoignage de la panique qui a saisi les habitants au moment du séisme.
«J’ai tout de suite su que c’était grave. Ça remuait tellement fort qu’on avait l’impression que tous les objets étaient projetés de l’intérieur des murs», lâche Daniele, retraité des télécommunications. Les larmes aux yeux, il observe son immeuble de cinq étages totalement lézardé et, de l’autre côté de la rue, l’hôtel Duca degli Abruzzi qui s’est spectaculairement effondré comme un jeu de cartes. Par chance, à cette époque de l’année, cette partie de l’établissement était vide. En revanche autour, dans les autres quartiers, on compte les morts.
En chemise de nuit, apeurées, les religieuses philippines de la compagnie des zélatrices du Sacré-Cœur pressent le chauffeur de leur bus de démarrer au plus vite. Elles ne veulent pas rester une seconde de plus dans leur couvent, qui s’est transformé en cauchemar. «Nous avons mis des heures avant de libérer deux sœurs qui étaient bloquées dans leur chambre. L’une d’elles est décédée, résume Sœur Lidia, la mère supérieure. La violence du choc était telle que je suis tombée du lit et n’ai pu me relever.»
Depuis le tremblement de terre, L’Aquila a été vidée de ses habitants. Les derniers occupants entassent quelques objets avant de rejoindre la cohorte des 50 000 sans-abri. Sur les routes qui mènent au centre, les défilés de camions de pompiers et de voitures de secouristes croisent des groupes d’habitants hagards traînant mécaniquement des couvertures, des valises et quelques effets personnels.
Autour de la ville, le spectacle de mort est encore plus impressionnant. A Onna, un petit bourg campagnard de 150 âmes situé à une dizaine de kilomètres du chef-lieu, le séisme a quasiment rasé la ville. Les maisons blanches de la via Alfieri ne sont plus qu’un amas de terre. Hier soir, une trentaine de corps avaient déjà été retirés des débris. Mais il manquait encore une quarantaine de personnes à l’appel. «Je n’arrivais pas à descendre du lit tellement ça bougeait. Dans la maison, tout a éclaté», explique le petit entrepreneur Lamberto Dinardi qui est miraculeusement sorti indemne avec sa femme et son fils: «Je ne sais pas combien il y a de disparus, mais toutes les personnes que je connaissais ici, je ne les vois plus.»
Dans la ville en état de choc, l’heure n’est pas à la polémique. Mais déjà des interrogations surgissent. Car à L’Aquila, la terre tremblait depuis plus de trois mois. «Depuis la fin de l’année dernière, il y avait deux ou trois secousses par jour», raconte le jeune Alessandro Angelini. Personne n’a pris les avertissements au sérieux. «Pouvait-on agir autrement? s’interroge l’entrepreneur en construction Pierluigi Frezza. Les autorités ont sans doute voulu éviter de provoquer une panique même si cela faisait des mois que ça durait.»
Hier, les dizaines de milliers d’habitants de L’Aquila et de la province restés sans abri cherchaient avant tout à trouver un refuge pour la nuit. Des camps de tentes ont été déployés un peu partout dans les alentours. Au-delà, c’est le futur même de L’Aquila qui est en question. Il faudra des années et énormément d’argent pour entreprendre la reconstruction. Pour Adolfo Santa, «le centre historique de L’Aquila sera une ville fantôme pendant des décennies».