Publicité

L’assassinat de Kadhafi à l’ordre du jour

L’OTAN a frappé pour la deuxième fois samedi un lieu intimement lié au dictateur. Mais l’histoire montre qu’une telle arme est à double tranchant

Mouammar Kadhafi est en sursis. Cinq jours après avoir bombardé l’un de ses bureaux, l’OTAN a frappé samedi soir à Tripoli une maison où il se serait trouvé en compagnie de sa femme et de plusieurs membres de sa famille. Si le «Guide de la révolution» s’en est sorti indemne, le dernier de ses six fils, Saïf al-Arab, 29 ans, et trois de ses petits-enfants y auraient trouvé la mort.

L’annonce, faite dans la nuit par un porte-parole du régime, est à prendre avec prudence: certains de ces détails pourraient bien se révéler mensongers. Mais elle est en phase avec le cours général pris dernièrement par la guerre de Libye. Français, Britanniques et Américains ne se contentent plus de viser les troupes combattantes, ils s’en prennent désormais au cœur du pouvoir.

«L’opération visait clairement à assassiner le chef de ce pays, a dénoncé dimanche le porte-parole libyen, Moussa Ibrahim. Or, un tel geste est interdit par le droit international.» L’assertion est fausse: les dirigeants d’Etats en guerre ne sont protégés par aucune loi particulière, surtout s’ils font partie d’une chaîne de commandement. Mais elle est habile dans la mesure où elle est susceptible de jeter le discrédit sur une campagne militaire déjà passablement critiquée.

De fait, quelques hauts responsables étrangers ont tôt fait de crier au scandale. Le président de la Commission parlementaire russe des affaires étrangères, Konstantin Kosachev, y a ainsi vu la preuve du caractère indiscriminé des frappes occidentales. Quant au président vénézuélien, Hugo Chavez, il a dénoncé une tentative d’assassinat pure et simple. «Il n’y a pas de doute que l’ordre était de tuer Kadhafi, a-t-il déclaré. Peu importe qui d’autre a perdu la vie. C’était un meurtre.»

Le chef de la campagne en cours, le général canadien Charles Bouchard, a protesté contre ces accusations dans les termes habituels. «Toutes nos cibles sont de nature militaire, a-t-il expliqué. Elles sont clairement liées aux attaques systématiques du régime de Kadhafi contre la population libyenne et les régions peuplées. Nous ne ciblons pas les individus.» Pour frapper aussi précisément, l’Alliance atlantique paraît bien avoir reçu des informations de première main. Mais, officiellement, elle ne visait pas le «Guide de la révolution», seulement un centre de commandement. Nuance…

En temps de guerre, l’assassinat du dirigeant ennemi a représenté une tentation constante dans l’histoire humaine. Mais cette pratique a été l’objet d’un puissant tabou à certaines époques. Depuis la Seconde Guerre mondiale, elle a connu un retour en grâce, du fait notamment des Etats-Unis qui l’ont utilisée à toutes sortes d’occasions. Après l’avoir attribuée à ses services secrets dans les années 1950 à 1970, Washington l’a confiée désormais à ses bombardiers.

La raison de ce transfert de compétence? L’assassinat, à savoir la décision froide d’éliminer une personne précise sans passer devant un tribunal, passe mal dans l’opinion. Suite à une cascade de scandales, il a été par conséquent décidé côté américain de travestir toute tentative de meurtre d’un dirigeant étranger en opération militaire. Pour correspondre à l’image souhaitée, ces actions sont systématiquement menées désormais par du personnel en uniforme, dans le cadre d’une campagne comprenant plus d’une cible et contre un objectif principal baptisé officiellement «centre de commandement». Leur but n’a pas changé pour autant: il s’agit bien de tuer un individu.

Coïncidence: la première opération du genre a été menée en 1986 contre le même Mouammar Kadhafi, accusé à l’époque de parrainer un certain nombre d’organisations terroristes. Plusieurs autres missions ont eu lieu depuis lors jusqu’à celle qui a visé Saddam Hussein lors de l’invasion de l’Irak en 2003. La tentative qui se rapproche le plus de l’intervention de samedi date cependant de 1999. C’est celle qui a visé le président de la Yougoslavie Slobodan Milosevic au cours du conflit du Kosovo. Les Américains ont visé Saddam Hussein dès les premières minutes du conflit: c’était là l’une de leurs priorités. Ils ne s’en sont pris en revanche à Slobodan Milosevic qu’après des semaines d’engagement, à un moment où les bombardements conventionnels s’étaient révélés insuffisants et où l’effort de guerre menaçait de s’épuiser. Comme en Libye aujourd’hui.

Une telle opération est complexe. Son but ne se réduit pas à tuer un dirigeant, ce qui serait trop aléatoire. Il est aussi de le décourager ou de lui enlever son aura dans l’espoir que des membres de son cercle proche finiront par le pousser vers la sortie. Ce scénario s’est concrétisé en Yougoslavie. Mais de telles opérations ne sont pas sans risque. Elles peuvent transformer leur cible en héros et retourner la situation en leur faveur. Une tentative manquée d’assassinat se trouve ainsi à l’origine de la débâcle américaine en Somalie il y a bientôt vingt ans. L’arme est à double tranchant.