L’attitude ambiguë des Etats-Unis
Mort de mandela
De Reagan à Obama, des relations en dents de scie entre Washington et Pretoria
«Aujourd’hui, les Etats-Unis ont perdu un ami proche.» Le président Barack Obama, profondément touché par la mort de Nelson Mandela, un quasi-père spirituel, s’est adressé à la nation moins de 45 minutes après l’annonce du décès. Il a ordonné de mettre les drapeaux en berne pour honorer la mémoire de l’ex-président sud-africain.
La relation entre Nelson Mandela et les Etats-Unis n’a toutefois pas toujours été aussi harmonieuse qu’entre les deux premiers Noirs à diriger leur pays respectif.
En septembre 1986, Ronald Reagan n’avait pas mâché ses mots lors d’une allocution diffusée sur la télévision C-SPAN depuis la Maison-Blanche. Il y rappelait l’histoire des relations entre Washington et Pretoria, soulignant que John F. Kennedy avait imposé un embargo sur les armes en 1962. Il y soulignait la nécessité de démanteler le régime d’apartheid, mais était totalement opposé à la méthode proposée par le Capitole. Il décrivit la loi anti-apartheid que le Congrès envisageait d’adopter comme étant «immorale» et «totalement répugnante». Même si Nelson Mandela croupissait encore dans sa prison de Robben Island, le président républicain était manifestement du mauvais côté de l’Histoire.
Un mois plus tard, contre toute attente, le Congrès, avec un Sénat à majorité républicaine, adoptait la loi en question, qui imposait des sanctions contre le régime de Pretoria, interdisant de nouveaux investissements en Afrique du Sud, réduisant les importations et empêchant plusieurs hauts responsables sud-africains de se rendre aux Etats-Unis. Ronald Reagan, convaincu que l’Afrique du Sud était un terrain majeur de la Guerre froide, fulminait. Il opposa son veto. Dans un geste inouï, le Congrès l’annula à une écrasante majorité. Le républicain, premier président américain du XXe siècle à subir une telle humiliation en matière de politique étrangère, fut interpellé par le sénateur démocrate Ted Kennedy: «Le Parti républicain est à un carrefour. Il doit décider s’il veut être le parti de Lincoln ou celui de l’apartheid.» Ronald Reagan répliqua: «Les actions punitives ne sont, à mon avis, pas la meilleure méthode. Elles frappent les personnes censées être aidées.»
Il faut attendre l’avènement d’autres présidents pour voir l’Amérique reconnaître en Nelson Mandela une personnalité d’exception. George Bush père l’accueille à la Maison-Blanche peu après sa libération. Son successeur Bill Clinton développe une relation personnelle avec le leader sud-africain, qui est d’autant meilleure que la Guerre froide est terminée, même si l’aide économique promise à Pretoria est, de l’avis du leader de l’ANC, insuffisante.
Quand George Bush fils accède à la présidence, Nelson Mandela a déjà quitté ses fonctions de chef d’Etat. Ce dernier souligne le «saut quantique» que l’administration républicaine a permis de faire en injectant des milliards de dollars en Afrique pour lutter contre le sida. Mais il critique vertement la politique de George W. Bush en Irak. Dans une interview accordée en septembre 2002 à Newsweek, Nelson Mandela déclare que «les Etats-Unis sont une menace pour la paix mondiale» en voulant envahir l’Irak sans l’aval du Conseil de sécurité des Nations unies et sans preuves de l’existence d’armes de destruction massive. Dans le même entretien, il relève que l’Amérique a commis de nombreuses erreurs de politique étrangère, mentionnant le soutien inconditionnel au chah d’Iran, «qui a mené directement à la révolution islamique de 1979».
Nelson Mandela dut enfin compter avec l’absurde approche que les Américains peuvent parfois avoir face au terrorisme. Invité à Washington au printemps 2008, le Prix Nobel dut à nouveau présenter une demande spéciale pour entrer dans le pays. Il figurait toujours sur la liste noire des terroristes au même titre que le Congrès national africain. Pour éviter un embarras suprême, George W. Bush finit par signer une loi modifiant cet état de fait.
Mandela critiqua vertement l’invasion américaine de l’Irak