Laurence Boisson de Chazournes et ce droit international qui lui coule dans les veines
Portrait
Elle est un des rares professeurs de Suisse romande à avoir l’honneur d’enseigner pour une année au Collège de France. Elle a très tôt identifié l’eau comme l'un des enjeux majeurs des XXe et XXIe siècles

Elle est née à Douala, au Cameroun, a vécu quelques années au Nigeria, puis a grandi à Lyon où elle recense, dans l’histoire familiale, des commerçants de la soie. Derrière son apparente discrétion, Laurence Boisson de Chazournes est une passionnée du droit international, qu’elle enseigne à l’Université de Genève.
Depuis janvier, elle enseigne aussi en tant que professeure invitée au prestigieux Collège de France, fondé par François Ier en 1530. A côté des professeurs Denis Duboule et Samantha Besson, elle appartient au cercle très restreint des universitaires de Suisse romande ayant eu droit à un tel honneur. Elle y occupe pour un an la chaire Avenir commun durable. Difficile d’y voir un hasard. Laurence Boisson de Chazournes est sans doute l'une des meilleures spécialistes des questions juridiques liées à l’eau comme ressource naturelle. Elle dirige à Genève la plateforme pour le droit international de l’eau douce au sein du Geneva Water Hub. Elle a aussi été membre du Panel mondial de haut niveau pour l’eau et la paix.
Objectif 2030
«Trente pour cent des frontières internationales se situent le long de cours d’eau, rappelle celle qui était déjà engagée avant le Sommet de la Terre de Rio de 1992 comme secrétaire pour ce qui constituait alors les travaux préparatoires d’une Convention sur les changements climatiques. On travaillait déjà à l’époque sur des définitions, à l'élaboration d'un langage commun et accessible à tous, une fonction importante du droit international. Et Rio fut un moment clé pour universaliser la préoccupation environnementale.»
Pour elle, l’accès de tous à l’eau, qui figure parmi les dix-sept Objectifs de développement durable (ODD) que les Nations unies se sont fixées pour 2030, est «une question de dignité humaine. On ne peut vivre sans un minimum d’eau. Or cette ressource est à l’origine de grandes inégalités à travers le monde.» Pour la professeure, aucun fleuve ne se ressemble. Chacun a une particularité géographique, hydrologique, humaine ou politique différente. C’est dans cette tendance que les fleuves doivent avoir une personnalité juridique. «Il faut permettre à la nature d’avoir une voix juridique», estime-t-elle.
Au Collège de France, la professeure franco-genevoise n’est pas du genre à s’isoler du reste du monde en raison d’un orgueil mal placé. Elle a gardé l’humilité des gens qui peuvent pourtant se targuer de grandes compétences et qui font autorité dans leur domaine. Elle est fascinée par le fait que cette auguste institution est ouverte à toutes et à tous. Nul besoin de présenter un diplôme universitaire à l’entrée de l’amphithéâtre. Elle ne cache pas son enthousiasme: «Je suis ravie d’accueillir des gens qui réfléchissent. J’ai beaucoup d’interactions avec des jeunes et des moins jeunes. Je me vois comme appartenir à une chaîne humaine: on reçoit et on transmet. Le Collège de France est en ce sens une institution idéale.»
Consciente des enjeux de la globalisation et de ses limites, imprégnée d’éthique, Laurence Boisson de Chazournes croit en la capacité de sursaut de l’humanité, notamment en matière environnementale. Il faut dire qu’elle n’est pas une juriste enfermée dans ses bureaux à ne penser qu’à la théorie du droit. C’est une praticienne. Pour elle, le droit doit avoir un contenu social qui témoigne des attentes de la société. Ses années à la Banque mondiale, dans les années 1990, ont été très formatrices. Elles lui ont permis de se détacher du formalisme académique français pour se familiariser avec une collaboration anglo-saxonne horizontale au sein de l’organisation de Washington.
Son directeur de thèse, Georges Abi-Saab, professeur émérite de l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) et ex-juge au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, le souligne: «Elle a beaucoup de flair. Depuis l’ère de Reagan et de Thatcher, on a petit à petit abandonné l’étude des organisations internationales. Laurence l’a au contraire approfondie.» Elle a ainsi œuvré comme experte et conseil auprès du Bureau international du travail, de l’OMC et de l’OMS. Elle a aussi officié comme conseil et avocate auprès de la Cour internationale de justice (CIJ) et du Tribunal international du droit de la mer.
La chasse à la baleine, aussi
Un de ses premiers faits d’armes fut de travailler, au nom d’un Etat du Pacifique, sur la légalité des armes nucléaires dans l’optique d’un avis de la CIJ. Elle a même été recrutée par l’Australie dans un cas relatif à la chasse à la baleine par le Japon. A la Banque mondiale, une de ses premières missions s’articula autour du fleuve Sénégal. Aujourd’hui, elle en est convaincue: des négociations fructueuses sur les problèmes de l’eau peuvent contribuer à résoudre des conflits.
Georges Abi-Saab résume le personnage: «Elle a montré une grande capacité à grandir intellectuellement grâce à son fort caractère et sa volonté. Pour moi, Laurence, un de mes «enfants intellectuels» dont je suis fier, compte parmi les meilleurs internationalistes de sa génération et parmi les meilleures spécialistes des organisations internationales.»
Profil
1958 Naissance au Cameroun.
1980 Maîtrise en droit et Diplôme de sciences politiques aux universités Lyon 2 et Lyon 3.
1990 Doctorat en droit international de l’IHEID.
1991 Habilitation à diriger les recherches de Université Paris-2 Panthéon-Assas.
1995-1999 Conseil juridique à la Banque mondiale.
1999 Professeure de droit international et de droit des organisations internationales à la Faculté de droit et à la Faculté de traduction et d’interprétation de l’Université de Genève.
2011-2017 Membre et vice-présidente du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies.
2022-2023 Professeure invitée au Collège de France, chaire Avenir commun durable.
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