Dans la nuit de mardi à mercredi, les rues d’Abidjan étaient désertées. Jusqu’à 3 heures du matin, la Commission électorale indépendante (CEI) a égrené sur les ondes de la Radio Télévision ivoirienne (RTI) les premiers résultats partiels d’une élection présidentielle déjà reportée à six reprises. Et il y a fort à parier que la quasi-totalité des 4,2 millions de votants de ce premier tour – soit 80% des inscrits, «l’un des taux les plus élevés au monde» selon le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, Youn-Jin Choi – étaient tous rivés devant leur téléviseur.

A l’heure où nous imprimons ces lignes, la CEI n’a pas encore donné les chiffres définitifs pour l’ensemble du pays. Mais selon ces premiers résultats portant sur 10 des 19 régions et une partie de la diaspora, le président sortant Laurent Gbagbo arriverait en tête avec près de 38% des suffrages, juste devant l’ancien premier ministre Alassane Dramane Ouattara, crédité de 32% des voix. Quant à l’ancien président Henri Konan Bédié, il serait en troisième position, avec 27% des suffrages. Les onze autres candidats en lice se partagent à peine les 3% restants.

Longue attente

Le scénario le plus crédible verrait donc Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara s’affronter lors d’un second tour prévu le 28 novembre.

L’attente des résultats donnés par la CEI est longue pour les Ivoiriens et dénoncée par les observateurs internationaux. Depuis le premier tour de dimanche, la capitale économique vit au rythme de la rumeur. Et même les discours ou les nombreux appels au calme du premier ministre Guillaume Soro ou du chef d’état-major, le général Philippe Yangou, ne rassurent guère la rue abidjanaise. La peur, qui est aussi la conséquence de dix ans de crise politico-militaire, a envahi la ville.

Repli identitaire

Partout, les magasins et les banques ferment plus tôt. Même les taxis, d’habitude si nombreux, ont arrêté de circuler. Seuls quelques téméraires travaillent encore. Le quartier du Plateau, celui des affaires et des ambassades, ne connaît plus son incessant ballet de grosses berlines. Et les rares piétons rencontrés assurent qu’il «vaut mieux suivre les résultats chez soi».

Car ce qu’il faut craindre pour demain, au vu de la cartographie électorale, c’est le repli identitaire, un problème majeur dans le pays. Et la présence au second tour d’Alassane Ouattara, longtemps exclu de ce scrutin, ne résout rien. Victime du concept d’«ivoirité», cet homme, «à la nationalité douteuse» selon ses détracteurs, a fédéré la majorité de la région nord. Après le long règne des Akan, avec Félix Houhouët-Boigny puis Henri Konan Bédié, et de deux «enfants» de l’ouest, Robert Gueï et Laurent Gbagbo, la montée fulgurante de cet ancien directeur Afrique du Fonds monétaire international (FMI) est vue par ses «frères du nord» comme une occasion de revanche.