– L'installation de bases militaires américaines dans la région pourrait-elle changer la donne?
– Bien sûr, on peut imaginer que les personnels militaires américains deviennent des cibles. A ceci près que, pour les milieux fondamentalistes anti-occidentaux d'Asie centrale, la présence américaine n'est pas très différente de la présence russe. Jusque-là, l'héritage du soufisme et du soviétisme n'avait pas créé le terreau favorable à un islamisme radical de grande ampleur. Les politiques de répression sont en train de le faire, sur fond de situation économique catastrophique, de démographie galopante. L'Ouzbékistan est notre grosse préoccupation. S'il bascule dans le chaos, il entraînera une bonne partie de la région.
– De quels moyens dispose la communauté internationale pour prévenir pareil développement – et notamment les Etats-Unis?
– L'administration Bush n'a pas commis l'erreur de fournir une aide très substantielle au gouvernement de Karimov à la suite de l'ouverture du pays à des bases militaires après le 11 septembre 2001. Ses ambassadeurs à Tachkent ont toujours défendu la question des droits de l'homme. Cela dit, il y a une forte concurrence entre le Département d'Etat et le Pentagone sur l'attitude à tenir face à ce régime dictatorial, et les Etats-Unis pourraient adresser un message beaucoup plus clair sur la nécessité d'ouvrir le jeu politique. Mais la nouvelle donne, c'est la Russie. Les relations entre Moscou et Tachkent se sont réchauffées. Au Ministère russe des affaires étrangères, on est conscient des graves conséquences de la répression des islamistes par Karimov. Mais cette préoccupation est-elle partagée au Kremlin? Or, c'est lui qui fait la politique étrangère…
– Ces jeux d'influence ne sont pas franchement des facteurs de stabilité.
– Non, on peut comparer l'Asie centrale avec ce qui se passe dans le Caucase. Sauf que les enjeux y sont encore plus élevés, du fait des richesses pétrolières de son sous-sol. La question des routes d'approvisionnement du pétrole va demeurer centrale et entretenir l'irritation actuelle entre Moscou et Washington.