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Lawrence Gostin: «Bill Gates est du mauvais côté de l’histoire en refusant d’assouplir les règles de propriété intellectuelle pour les vaccins»

L’annonce du divorce de Melinda et Bill Gates a secoué la sphère de la santé globale, leur fondation étant un bailleur de fonds majeur. Professeur à l’Université Georgetown de Washington, Lawrence Gostin décrypte les enjeux autour de la philanthropie dans le domaine de la santé globale et du financement de l’OMS

Bill Gates, coprésident de la Fondation Bill & Melinda Gates. @KEYSTONE/SALVATORE DI NOLFI. 
Bill Gates, coprésident de la Fondation Bill & Melinda Gates. @KEYSTONE/SALVATORE DI NOLFI. 

Professeur à l’Université Georgetown de Washington, détenteur de la Chair Founding O’Neill en droit de la santé globale, Lawrence Gostin réagit à l’annonce du divorce de Bill et Melinda Gates et en profite pour faire le point sur le financement de l’OMS et sur la philanthropie dans le domaine sanitaire.

Le Temps: Le divorce de Bill et Melinda Gates interroge sur le devenir de leur fondation et du financement d’institutions internationales de la santé. En particulier l’OMS. Faut-il craindre les répercussions d’un tel événement?

Lawrence Gostin: Le financement de la fondation Gates est vital si l’OMS veut atteindre ses objectifs ambitieux d’éradiquer la polio et d’accroître les capacités globales de la planète en termes de sécurité sanitaire. Mais il a aussi ses revers. Par leur financement, les fondations privées peuvent dévier de l’agenda de santé globale. L’OMS devrait fixer ses propres priorités, mais il est difficile de le faire quand les financements sont destinés à des projets spécifiques choisis par la Fondation Gates. Celle-ci est certes un instrument extraordinairement généreux et innovateur en matière de santé globale, mais elle n’a pas la transparence des Etats et ne répond pas de ses actes comme eux. Elle n’a pas à passer par un processus politique et électoral. Le gros du financement de l’OMS doit venir des Etats, qui doivent le fournir sans conditions. Il devrait y avoir beaucoup moins de financement de projets mineurs souhaités par les Etats et les fondations.

Lire l’éditorial: Face à Bill Gates, la responsabilité des Etats

Comme les Etats membres de l’OMS continuent de refuser de financer davantage l’organisation, le partenariat public-privé est-il la seule option?

Il faut le dire: le partenariat public-privé a été très fructueux dans le domaine de la santé globale. Des institutions comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, GAVI (l’Alliance du vaccin) et CEPI (Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies) ont littéralement transformé la santé globale en favorisant l’innovation et l’arrivée d’idées créatives. Il n’en demeure pas moins que l’OMS est la plus importante agence onusienne multilatérale dans la santé. Il n’y a pas de substitut à l’OMS, à une organisation intergouvernementale qui doit rendre des comptes dans une logique démocratique. Nous avons donc besoin des deux: du partenariat public-privé comme moteur de l’innovation et de l’OMS comme organisation qui établit l’agenda de santé globale, qui fait autorité en matière d’assistance technique et d’encadrement normatif basé sur la science.

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Votre regard sur l’attitude des Etats…

Les Etats membres ont négligé de façon honteuse l’OMS depuis des décennies. Le financement de l’organisation est totalement en inadéquation avec son mandat global. De plus, la plupart du financement de l’OMS (environ 80%) est fléché, c’est-à-dire destiné à des projets spécifiques, alors que certains mandats obligatoires ne sont toujours pas menés à bien. Politiquement et financièrement, l’OMS a été affaiblie. L’OMS et son directeur général, le docteur Tedros, ont été placés de façon inadmissible au cœur d’un combat politique entre les superpuissances mondiales. Il faut que ça cesse. On peut critiquer l’OMS mais, en fin de compte, les Etats membres ont l’OMS qu’ils méritent. Si les Etats membres donnaient à l’OMS un soutien robuste, cela transformerait la santé globale et la sécurité sanitaire mondiale.

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Dans ce contexte, les mécanismes Accélérateur ACT et Covax n’ont pas fait leurs preuves. Pourquoi?

L’Accélérateur ACT et Covax sont les initiatives menées notamment par l’OMS les plus enthousiasmantes de ces dernières décennies. L’idée de stimuler l’innovation dans les ressources médicales et de distribuer ces ressources de façon équitable est un bol d’air frais. Mais, là encore, les Etats n’ont pas été à la hauteur en fournissant du matériel médical, des doses de vaccin et du financement en suffisance. C’est honteux. Il est tout aussi honteux que les pays riches aient littéralement monopolisé les doses limitées de vaccin, privant Covax de son oxygène.

Bill Gates s’oppose à déroger aux règles de la propriété intellectuelle (Trips waiver) pour les vaccins. Cela permettrait pourtant à plusieurs pays de produire des vaccins à l’avenir. Cet assouplissement en termes de propriété intellectuelle est-il nécessaire pour être à la hauteur face à une future pandémie?

Oui, absolument. Autant j’admire tout ce qu’a fait Bill Gates pour le monde, autant je pense qu’il est du mauvais côté de l’histoire et de la morale en s’opposant à l’assouplissement de la propriété intellectuelle pour les vaccins. Celui-ci est nécessaire, mais pas suffisant pour vacciner le monde entier. Nous avons aussi besoin d’un plan audacieux du genre plan Marshall, mis en œuvre au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les Etats-Unis et l’Europe ont été audacieux dans le domaine de la santé globale avec des initiatives comme Pepfar (plan d’urgence contre le sida), l’éradication de la variole et de la polio. Mais tous deux n’ont pas été à la hauteur du plus grand défi sanitaire de ce siècle. Ils doivent soutenir les transferts de technologie afin que nous ayons des hubs régionaux très performants pour produire des vaccins et autres ressources médicales. Quand les pays riches font le don d’une dose de vaccin, ils sauvent une vie. Ils peuvent sauver le monde. Mais, pour l’heure, les Etats-Unis et l’Europe ont perdu leur vision morale de la planète.