L’ancien électricien et leader syndicaliste à l’origine de la chute du communisme en Pologne s’est retiré de la vie politique. Il réserve son jugement sur le nouveau pouvoir populiste emmené par le PIS de Jaroslaw Kaczynsky. Invité par le Family office HBS basé à Genève, Lech Walesa livre ses pensées sur la Pologne, la Russie et le pape.

– Le Temps: Avec le retour au pouvoir de Jaroslaw Kaczynsky, la démocratie en Pologne est-elle menacée?

– Lech Walesa: La démocratie est partout en crise. Je suis un révolutionnaire et je me joins à diverses manifestations à travers le monde. Elles sont contre deux choses: le capitalisme et la démocratie actuelle. Pour avoir plus de paix et de démocratie nous devons améliorer trois choses: limiter les mandats à un seul terme, il ne doit pas y avoir d’excuse à cette règle; abaisser la limite d’accès au parlement pour les petits partis; rendre transparent le financement des partis politiques, chaque centime doit être comptabilisé. Quand ces trois conditions ne sont pas remplies, certaines choses étranges se produisent comme en Pologne. C’est la même chose aux Etats-Unis où vous avez ce type étrange (ndlr, Donald Trump) qui est en tête des sondages. Si on ne change pas, les émeutes suivront dans la rue. Mais n’oublions pas que la participation aux dernières élections était en dessous de 50%. Et pour les élections européennes c’était 25%!

– Il y a cinq ans, vous déclariez que l’élection de Kaczynski serait un «malheur» pour la Pologne.

– Je le pense toujours.

– Que vouliez-vous dire?

– Il brusque la démocratie. Il la teste à l’extrême. Il veut réussir à tout prix. La démocratie demande le consensus. Ses idées, sa stratégie sont très simples: ayons des élections et laissons faire les élus ce qu’ils veulent.

– Un ministre polonais vient de déclarer que l’Acte fondateur sur les relations Otan-Russie était caduc car nous avons changé d’époque. Qu’en pensez-vous?

– Dans un sens, j’ai dit la même chose: nous devons redéfinir les vieux concepts. Peut-être cet accord particulier nécessite aussi de l’être. Je ne suis pas au courant des détails. Mais pour tout changement, il faut un consentement des deux parties.

– Moscou affirme que les Européens n’ont pas respecté un engagement de l’Otan, au début des années 1990, de ne pas s’élargir à l’Est. Vous étiez alors président de la Pologne, que répondez-vous?

– A chaque moment, un compromis différent. Cela se fait en fonction de vos besoins. L’accord à ce moment-là a été formulé sous certaines conditions.

– Est-il possible aujourd’hui de trouver un bon compromis avec Vladimir Poutine?

– Je connais deux Poutine différents: un Poutine sait de quoi le monde retourne. Il tient fermement les rênes de la Russie. Simplement parce que les 80 nationalités qui composent la Russie pourraient demander l’indépendance. Il tient la Russie, mais il la réforme aussi. C’est le Poutine en qui nous devrions faire confiance. Et puis il y a cet autre Poutine, ex-agent du KGB, qui dit «laissez-moi redevenir fort et je récupérerai mon arrière-cour». Ce Poutine, il faut s’en méfier. Bien sûr la Pologne et le monde ont besoin de la Russie. D’une certaine manière nous devons aider la Russie à réaliser la transition que nous avons faite. Si nous restons unis, solidaires, nous pousserons la Russie dans la bonne voie. Sans user la force, mais en étant ferme.

– L’Europe n’est-elle pas suffisamment unie?

– Non. Et Poutine sait intelligemment en prendre avantage. D’un côté la chancelière Merkel parle à Poutine, de l’autre c’est le président français.

– Paris et Berlin parlent-ils trop à Poutine et pas assez à Varsovie?

– Non. Ils devraient parler au nom de l’UE et l’Otan, et non pas agir individuellement.

– Vous étiez à Kiev pour féliciter les manifestants de Maïdan.

– Oui, il y a pas mal de contacts entre nous et l’Ukraine. Parfois ils m’écoutent, parfois non.

– Quels conseils donnez-vous aux Ukrainiens?

– Avant la deuxième révolution de Maïdan (ndlr, en février 2014 lorsque le président Ianoukovytch fini par fuir en Russie), je les ai mis en garde. Ils n’auraient pas dû refuser de parler au président. Je ne respectais pas non plus ce gouvernement mais vous ne devez pas agir ainsi.

– Il aurait fallu négocier?

– Je n’ai pas aimé cette approche. Mais ils n’écoutaient pas. Je suis sûr qu’il aurait pu y avoir un compromis. Malheureusement ce ne fut pas le cas. N’oublions pas que l’Ouest est basé sur le compromis, des traités, des accords et Poutine a violé ces accords. Il a questionné l’essence de notre existence. Quand nous avons retiré les armes nucléaires d’Ukraine, après la désintégration de l’URSS, la Russie s’est engagée à respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Le respect des accords internationaux doit être réaffirmé. Nous ne devons pas laisser les plus forts attaquer les faibles. La Russie, d’une certaine manière, est mentalement retardée d’au moins trente ans par rapport à l’Europe. Ils n’ont pas vraiment confiance dans la démocratie.

– Varsovie s’était engagé à prendre 9000 réfugiés dans le cadre d’un partage proposé par la Commission européenne. Le nouveau gouvernement dit que ce ne sera pas possible. La Pologne n’en a-t-elle pas les moyens?

– Je pense que l’on va accueillir les réfugiés que le gouvernement précédent s’était engagé à prendre. Mais il faut comprendre que la Pologne est tout juste développée. Il y a des bas salaires, les gens ont de petits appartements, en moyenne le niveau de vie est assez modeste. Nous n’avons rien à partager avec les autres. D’un autre côté, nous devons aider. Nous le ferons en regard de nos moyens.

– Mme Merkel a-t-elle eu tort d’accueillir un million de réfugiés?

– Les Allemands sont riches. Je suis pragmatique. Jusqu’ici on a vu des gens passant d’un pays à l’autre, en petit nombre, individuellement. Ils doivent composer avec les structures d’accueil, s’intégrer. Aujourd’hui, on voit soudain des milliers de réfugiés forcés de quitter leur pays. Je m’attends à ce qu’ils viennent demain avec leurs demandes, leurs revendications, des mosquées par exemple.

– Les réfugiés musulmans représentent-ils une menace? Kaczynsky les accuse d’apporter des maladies?

– Non, ils ne sont pas un danger. Mais ils représentent une altérité à laquelle il faut s’habituer. Bien sûr nous devons les aider. Mais pourquoi ne pas le faire davantage dans leur propre pays? Aidons-les à mettre fin à la guerre et quand le pays devra être reconstruit, nous les assisterons.

– Le nouveau pouvoir polonais a retiré le drapeau européen de la salle de presse du gouvernement. Les Polonais n’aiment-ils plus l’UE?

– Non, ce sont juste des initiatives individuelles, pas très sérieuses. La réponse des citoyens a été de dresser des drapeaux européens sur les bâtiments publics à la place des drapeaux nationaux. C’est une façon de les ramener à la réalité et leur faire comprendre que leurs agissements ne sont pas corrects. Cela dit, j’ai décidé de ne pas critiquer ce gouvernement durant les six premiers mois. Je viens toutefois de réactiver le Parti de la démocratie chrétienne, parti que j’avais créé mais qui n’a pas pris part aux dernières élections.

– Vous renouez avec la politique?

– Non, pas moi-même. Je donne des conseils, mais je ne vise aucune fonction, c’est aux jeunes de s’investir. Nous nous tenons prêts au cas où. Si ce gouvernement commence à détruire ce que nous avons construit ces 25 dernières années, alors nous devrons nous organiser pour nous y opposer, avec force.

– Le PIS suit-il la voie d’Orban en Hongrie?

– Orban ou Kaczynsky peuvent sembler être des menaces. Mais je pense que les gens, les pays, ont besoin d’un choc pour agir. En un sens, ce mauvais résultat en Pologne profitera en fin de compte aux Polonais. Je crois qu’en réponse à ce gouvernement en particulier, après la honte qu’il aura jeté sur nous, la véritable démocratie sera rétablie en Pologne. Nous devrons nous élever au-dessus de cela. Restons calmes. Faisons en sorte que cela travaille à notre avantage.

– Vous êtes croyant. Que pensez-vous du pape François?

– Je suis convaincu que le Saint-Esprit dirige l’Église. Pour mettre un terme au communisme nous avions besoin d’un pape polonais. Maintenant que nous ouvrons les frontières, nous avons besoin d’une Eglise différente, qui va vers les gens. Auparavant, nous utilisions la religion pour motiver les gens à combattre mais c’est fini. Les religions doivent se concentrer sur ce qu’elles savent faire. Les gens seront plus conscients, ils réaliseront au final que les religions ont toute un même dieu avec différents professeurs. Ce pape est idéal. Il est parfait pour le monde actuel.