Ce n’est pas la première fois que la Maison-Blanche se voit contrainte de nuancer les propos de Joe Biden dans le cadre de la guerre en Ukraine. Mais le rétropédalage de ce week-end s’avère moins convaincant que les autres. En qualifiant Vladimir Poutine de «boucher», puis en insinuant que le chef du Kremlin ne pouvait «pas rester au pouvoir», le président américain n’a pas commis une de ses bourdes, impairs ou lapsus dont il est coutumier: il s’est exprimé de façon sanguine, parfaitement conscient de la portée de ses propos. Le démocrate semble ne plus se faire aucune illusion sur la possibilité de raisonner Poutine, alors que les «négociations» entre Russes et Ukrainiens s’enlisent. Et il exprime son agacement sans nuances.

Un «échec stratégique»

La scène s’est déroulée samedi en Pologne, après des jours chargés du côté de Bruxelles où Joe Biden a participé à trois sommets, de l’OTAN, du G7 et de l’UE. A quelques kilomètres de la frontière ukrainienne, il a réaffirmé que les Etats-Unis défendraient «chaque centimètre du territoire de l’OTAN» et a qualifié l’offensive russe en Ukraine d'«échec stratégique». Il a traité Poutine de «boucher» dans l’après-midi, avant d’affirmer, lors d’une cérémonie au château royal de Varsovie, et à la fin d’un discours de 27 minutes, qu’il ne devait plus rester au pouvoir. En s’écartant de son texte, il a prononcé ces mots précis: «Pour l’amour de Dieu, cet homme ne peut pas rester au pouvoir.»

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Surpris, un responsable de la Maison-Blanche a très vite tenté d’adoucir ses propos: «Ce que le président voulait dire, c’est que Poutine ne peut pas être autorisé à exercer un pouvoir sur ses voisins ou sur la région. Il ne parlait pas du pouvoir de Poutine en Russie, ni d’un changement de régime.»

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Dmitri Peskov, le porte-parole de la présidence russe, a de son côté lâché: «Ce n’est pas à M. Biden de décider. Le président de la Russie est élu par les Russes.» Dimanche, le président français, Emmanuel Macron, est entré dans la danse, en mettant en garde, sur France 3, contre «l’escalade des mots et des actions». «Je n’utiliserai pas ce genre de propos parce que je continue de discuter avec le président Poutine», a-t-il déclaré.

Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a également tenu, dimanche, à «préciser» les propos de Biden, depuis Jérusalem. «Le président a tout simplement souligné que le président Poutine ne peut pas être habilité à faire la guerre ou à s’engager dans une agression contre l’Ukraine ou qui que ce soit d’autre», a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse. En ajoutant: «Nous n’avons d’ailleurs pas de stratégie pour un changement de régime en Russie ou ailleurs.»

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L’embarras dans l’entourage de Biden s’explique précisément par la crainte que ses propos soient interprétés comme un changement radical de la politique américaine vis-à-vis de Poutine. Alors que son administration s’échine à affirmer qu’elle n’a pas pour but de renverser Poutine, la rhétorique «spontanée» et enflammée de Joe Biden, au nom de valeurs morales, est-elle de nature à provoquer une dangereuse escalade? «Il devrait y avoir deux priorités à l’heure actuelle: mettre fin à la guerre dans des conditions acceptables pour l’Ukraine et décourager toute escalade de la part de Poutine. Et ce commentaire est incompatible avec ces deux objectifs», commente au Washington Post Richard Haass, diplomate chevronné et président du Council on Foreign Relations.

Quelques jours plus tôt, Joe Biden n’avait pas attendu le feu vert des juristes de son Département d’Etat pour traiter Poutine de «criminel de guerre», en marge d’un événement qui n’avait rien à avoir avec l’Ukraine. Là aussi, une porte-parole de la Maison-Blanche a tenté d’atténuer ses propos. Joe Biden a également traité Poutine de «dictateur meurtrier», de «pur voyou, qui mène une guerre immorale contre le peuple ukrainien». En mars 2021, dans une interview à ABC, il n’avait pas hésité à le qualifier de «tueur».