Entre la mer Baltique et les Soviets
L’Estonie «profondément démocratique» de 1926
«[…] L’Estonie d’aujourd’hui […] s’est affranchie de la domination bolchevique par une lutte courageuse où elle fut aidée financièrement et militairement par la Finlande, […] [par le biais du] traité de Tartu (Dorpat) du 2 février 1920. […]
Des minorités, la plus nombreuse, celle des Russes, est formée par les habitants des territoires annexés récemment ainsi que par la plupart des riverains du lac Peïpous. Ni leur nombre, ni leur instruction ne leur permettent de lutter avec les Estoniens. […]
L’union de tous les citoyens est d’autant plus nécessaire que le danger extérieur est plus puissant. La Russie est là tout près, et si elle a pu être repoussée et vaincue à l’époque de la révolution, alors que ses armées étaient complètement désorganisées, il n’en serait peut-être plus ainsi maintenant. Aussi, tout en conservant avec les Soviets des relations de bon voisinage, l’Estonie, comme d’ailleurs la Finlande, veille.
La situation est d’autant plus dangereuse que l’Estonie est placée en avant de la Russie sur les rives de la Baltique. Le territoire russe communique bien avec cette mer par le fond du golfe de Finlande, où est Leningrad [Saint-Pétersbourg]. Mais ce golfe est souvent et longtemps pris par les glaces et fermé à la navigation. Tallinn (Reval), capitale de l’Estonie et son principal port, est mieux placé, et si la congélation le menace aussi, il est possible de la combattre avec les brise-glace dont Tallinn possède quelques puissants exemplaires.
Paltiski (Baltisch-Port), situé plus à l’ouest, est plus souvent libre encore; mais n’a pu prendre de développement à cause de la proximité de Tallinn. En hiver, les ports estoniens acquièrent donc pour la Russie une grande valeur, et la ligne de chemin de fer de Tallinn à Narva et à Leningrad a un roulement considérable. Ajoutons que Tallinn est relié par des lignes régulières de paquebots à plusieurs ports d’Allemagne et de Scandinavie, ce qui en fait la porte d’entrée de l’Orient. L’Estonie s’efforce d’assurer, dans son propre intérêt, ces relations pacifiques du pays des Soviets avec l’Occident. […]
La prospérité de l’agriculture a forcé le gouvernement de la république à résoudre l’important problème de la propriété foncière. Jusqu’à la révolution, le sol estonien appartenait presque exclusivement aux barons baltes, d’origine allemande, dont les propriétés étaient énormes; 600 familles environ possédaient en effet presque tout le pays. Cette aristocratie ne sut pas faire les sacrifices nécessaires: son offre d’abandon d’un tiers de ses propriétés était dérisoire. Aussi les bolchevistes, venus dans le pays après le départ des troupes d’occupation allemande, ne furent pas considérés comme des ennemis de la population. Les Allemands furent expulsés et leurs propriétés confisquées. Mais la terreur rouge ayant été introduite, c’est par la promesse d’un lot de terre que le gouvernement estonien obtint le concours des soldats pour repousser les Russes. […]
Telle est, sommairement exposée, la situation […] d’un des plus jeunes Etats de l’Europe, puisqu’il n’a que huit ans d’existence. Ce qui est remarquable, c’est que ce peuple de paysans ait réussi à constituer en si peu de temps une élite dirigeante, qui a su établir sur des bases solides les finances et l’économie générale de l’Etat. La Suisse ne peut considérer qu’avec intérêt les premiers pas de ce pays profondément démocratique. »
« Si la congélation menace de port de la capitale, il est possible de la combattre avec les brise-glace dont Tallinn possède quelques puissants exemplaires »
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