«Il y a deux manières de faire de la politique, avait déclaré Julio Calzada, le secrétaire national des drogues de l’Uruguay. En suivant l’opinion de la majorité, ou alors en essayant de mener à bien des transformations sans bénéficier a priori de l’appui de la population.» Mercredi soir et après quatorze heures de débat âpre et houleux, les 50 députés du Frente Amplio (gauche au pouvoir) sur les 99 que compte la Chambre basse du parlement ont finalement opté pour la seconde solution. Ils ont voté une loi qui pour la première fois autorise un Etat à prendre en charge le commerce de la marijuana, de la production à la vente. Le Sénat doit encore se prononcer.

Un pari risqué, car comme le soulignait Julio Calzada, le projet ne jouit pas du soutien de la population. Selon un sondage effectué un mois avant le vote des députés, 61% des Uruguayens étaient contre. «Il est vrai que les politiques de répression menées depuis plus de cinquante ans n’ont en rien diminué la délinquance liée au trafic de drogue», soupire Pablo Abdala, député de l’opposition. «Mais la lutte contre le narcotrafic est une lutte sans fin, exactement comme celle contre le crime. Ce n’est pas pour autant qu’on doit se résigner à légaliser le vol et le brigandage», s’exclame le député farouchement opposé à la loi.

Institut national

Un argument balayé par le président uruguayen José Mujica: «L’humanité a toujours cherché des moyens pour s’évader, et dans certaines classes de la société c’était même bien vu de prendre de la drogue, avait-il déclaré lors du lancement du projet il y a une année. Ce n’est pas la drogue qu’il faut craindre mais le trafic, car le marché de la drogue existe, c’est une réalité.»

Le chef de l’Etat uruguayen en est convaincu. Pour lutter contre la criminalité liée au trafic de drogue, il faut lui ravir le marché. Son projet est assez audacieux puisqu’il propose la création d’un institut national du cannabis en charge de la production, de la distribution et de la vente de la drogue. Selon les chiffres avancés par le gouvernement, l’Etat devra planter 150 hectares de marijuana pour pouvoir vendre aux quelque 75 000 consommateurs réguliers du pays 40 grammes par mois au maximum. Une vente autorisée aux Uruguayens et aux résidents et qui se fera dans les pharmacies au prix du marché actuel. «On veut ainsi éviter le narcotourisme et le marché noir», explique Julio Calzada, qui assure ne pas vouloir répéter les erreurs qui ont obligé le gouvernement néerlandais à faire machine en arrière.

Lutte contre le trafic

Autre aspect innovateur du projet: l’autorisation de cultiver jusqu’à six plants de marijuana chez soi et l’accroissement des moyens alloués à la recherche médicale sur le cannabis. Un aspect salué par Gaston, un Argentin qui cultive du cannabis dans son jardin: «Depuis que je fume, mon asthme s’est nettement amélioré, et je n’ai plus besoin de prendre de médicament. En réalité, j’ai changé un médicament pour un autre, avec en prime l’effet psychoactif», ajoute-t-il avec un petit sourire.

«C’est un immense pas en avant», estime Ernesto Muñiz, l’organisateur de la Coupe internationale du cannabis, où une centaine de planteurs viennent participer au concours de la meilleure herbe du continent. «Je suis en revanche opposé à la création d’une base de données des consommateurs. On n’a jamais fait ça avec l’alcool», s’insurge l’organisateur.

Pour les auteurs du projet, la base de données doit également servir à aider le fumeur en perdition. «Fumer un pétard est une chose, s’enfoncer dans la drogue sans que personne ne vous lance une bouée en est une autre», avait expliqué José Mujica. Un président satisfait au lendemain du vote, et qui a réitéré son vœu d’être soutenu par la population dans la lutte contre le trafic de drogue. «Nous sommes un pays de vieux et il nous est difficile de comprendre la jeunesse, mais le problème est là. S’il continue sa progression, le narcotrafic peut alors tout simplement raser notre pays.»