A Téhéran, on ne compte plus le nombre de manifestations organisées par le régime des mollahs devant l’ambassade de Grande-Bretagne. La «révolution verte» emmenée par Mir Hossein Moussavi, candidat malheureux à la présidentielle iranienne du 12 juin, a aussi donné lieu à un bras de fer entre Londres et l’Iran. Deux diplomates britanniques ont été expulsés du pays, neuf employés de l’ambassade britannique de Téhéran ont été arrêtés avant d’être relâchés. Mais l’un d’eux, Hossein Rassam, a été inculpé et est actuellement jugé aux côtés de la Française Clotilde Reiss. Mardi, le Foreign Office s’est vu contraint de réagir: «La Grande-Bretagne n’est impliquée dans aucun complot visant à porter atteinte à la République islamique d’Iran à travers une prétendue révolution de velours.»

Avec les protestations contre la réélection contestée du président Mahmoud Ahmadinejad qui ont secoué le pays depuis la mi-juin, le Royaume-Uni a remplacé les Etats-Unis comme le «Grand Satan». Motif? L’administration de Barack Obama est restée très en retrait afin de ne pas donner prise à la critique d’ingérence. Londres a été plus incisif. D’où le discours du guide suprême iranien, Ali Khamenei: la Grande-Bretagne, «c’est le pire mal, des loups affamés en embuscade» pour dévorer l’Iran. La critique repose plus sur une relation historique houleuse entre Londres et Téhéran que sur des faits récents qui prouveraient un rôle actif des Britanniques pour déstabiliser le régime iranien. Professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement, Mohammad-Reza Djalili pense que les diatribes iraniennes contre Londres renvoient à un ouvrage publié en 1973 par Iraj Pezeshkzad intitulé Oncle Napoléon. Le livre, comique, raconte l’histoire d’un militaire retraité qui se prend pour Napoléon et qui relate ses faits d’arme imaginaires et ses exploits fictifs sur le champ de bataille. Le personnage attribue tous ses échecs aux complots fomentés par les Britanniques. L’œuvre connaît dès sa sortie un succès considérable. La télévision et la radio iraniennes en font des séries très populaires. Depuis la Révolution de 1979 toutefois, l’ouvrage et les séries sont interdites, mais circulent sous forme de samizdat, d’écrits et de CD clandestins.

Aujourd’hui, souligne Mohammad-Reza Djalili, l’une des phrases favorites de l’Oncle Napoléon est devenue une expression très courante et humoristique en Iran: hamé tchiz zir sar-e ingilisast: «Tout est la faute des Anglais.» Les loyers ou le prix du pain augmentent? Londres a fomenté le coup. Des millions de manifestants contestent l’élection d’Ahmadinejad? C’est encore la faute de Londres. Voici quelque temps, Ahmad Jannati, un religieux très respecté du Conseil des Gardiens avait annoncé sur une télévision que les attentats de Londres, du 7 juillet 2005 étaient «la création du gouvernement britannique lui-même». De ce sentiment de persécution est né un concept, l’oncle-napoléonisme.

Auteure de la préface de la traduction anglaise du livre, l’Iranienne Azar Nafisi estime qu’Oncle Napoléon révèle en termes grotesques l’état d’esprit de l’actuelle République islamique. Au Guardian, elle déclarait: «Comme tous les systèmes totalitaires, le gouvernement iranien nourrit la paranoïa sur laquelle il prospère. Pour se justifier, le régime a dû remplacer la réalité par ses propres mythes.»

Si l’obsession anti-britannique comme anti-américaine est un fondement de la République islamique, elle a toutefois son histoire. En 1813, les Britanniques ont permis le Traité de Golestan et humilié les Perses en attribuant des territoires à la Russie. En 1905, ils aident les Iraniens à se doter d’une Constitution, mais s’accordent avec Moscou pour diviser leur propre pays en zones d’influence. En 1908, du pétrole est découvert en Iran. Les Britanniques construisent des raffineries et s’accaparent les profits. Le coup de 1953, qui permit à la CIA et aux services secrets britanniques de renverser Mohammad Mossadegh est resté dans les mémoires. Le premier ministre de l’époque voulait nationaliser l’Anglo-Iranian Oil Company.

Récemment, la chaîne satellitaire BBC en farsi a eu un succès considérable auprès des Iraniens. Téhéran pense qu’elle a joué un rôle dans la «révolution verte». Bien que souvent associée à Downing Street par le régime iranien, la BBC a parfois étonné. Comme le relève le professeur d’histoire iranienne Ali Ansari, la BBC, à la fin des années 1970 «donna à Khomeiny beaucoup plus de temps d’antenne que le gouvernement jugeait utile…» Ali Ansari souligne cependant qu’aucun gouvernement iranien depuis 1979 n’a été aussi anglophobe que celui d’Ahmadinejad. Face à ce constat, Mohammad-Reza Djalili conclut: «L’Iran est peut-être le dernier pays au monde où l’on croit encore que la Grande-Bretagne est une superpuissance.»