Corée du Nord
Kim Jong-nam, en exil depuis plus de dix ans, est décédé subitement lundi à Kuala Lumpur. La Corée du Sud dénonce un assassinat

A-il payé de sa vie une trop grande indépendance? Le demi-frère du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, Kim Jong-nam, est décédé lundi à Kuala Lumpur durant son transfert à l’hôpital, après avoir été découvert en piteux état dans les bâtiments de l’aéroport. Une mort des plus suspectes, d’autant que l’homme était le principal dissident de la famille régnante à Pyongyang. Des médias sud-coréens ont d’ailleurs aussitôt attribué le drame à deux mystérieuses femmes qui auraient empoisonné leur victime à l’aide d’aiguilles, puis se seraient volatilisées à bord d’un taxi.
Education en Suisse
Kim Jong-nam était le fils aîné de l’ancien numéro un de la Corée du Nord Kim Jong-il. Comme son petit demi-frère Kim Jong-un, il a reçu une partie de son éducation en Suisse – à l’Ecole internationale de Genève très précisément, alors que son cadet a été scolarisé dans le canton de Berne. De retour dans son pays, le jeune homme a été considéré pendant quelques années comme l’héritier de la dynastie. Une fonction à laquelle il s’est préparé en dirigeant le service de contre-espionnage de la police secrète du régime et en accompagnant son père lors d’au moins un voyage en Chine.
Mais son destin a pris un tour des plus inattendus en mai 2001, lorsqu’il a été arrêté à l’aéroport international de Narita, au Japon, en compagnie de deux femmes et d’un jeune garçon. Désireux de montrer le Disneyland de Tokyo à son fils mais interdit d’entrée sur territoire nippon, Kim Jong-nam a tenté de forcer le destin en se présentant à la douane sous une fausse identité, avec des papiers de la République dominicaine payés 2000 dollars. Une tentative maladroite qui lui a valu d’être refoulé publiquement vers la Chine et, de là, vers la Corée du Nord.
Après une telle aventure (et un tel camouflet!), Kim Jong-il a écarté son fils aîné de la ligne de succession. Bon gré mal gré, Kim Jong-nam a poursuivi son existence à l’étranger, à Macao notamment, un territoire chinois adapté à son goût du jeu et des jolies femmes. Sans illusion sur la sollicitude dont il était entouré. «Le gouvernement de Pékin me protège mais il me surveille aussi, a-t-il confié à l’époque à un journaliste japonais. Si vous ne pouvez pas l’empêcher, autant en profiter.»
Le personnage était plus complexe que certaines apparences pouvaient le laisser supposer. Aux quelques reporters qui sont parvenus à le rencontrer furtivement, il a lâché des propos contradictoires sur son allégeance à sa famille et son opposition à certains aspects centraux du pouvoir nord-coréen. Ainsi, tout en assurant qu’il était «disposé en tout temps» à aider son jeune frère Kim Jong-un, il s’est déclaré opposé «à la succession dynastique sur trois générations», donc à l’accession de son cadet au pouvoir. Dans une autre sortie téméraire, il a qualifié le régime de Pyongyang de «plaisanterie pour le monde extérieur».
Des sources sud-coréennes, à prendre avec précaution, ont dénoncé diverses tentatives d’assassinat à l’encontre de l’exilé sur territoire chinois. Selon la chaîne de télévision KBS, le gouvernement de Pékin se serait même fâché à ce propos contre Pyongyang en 2009 et, devant la menace, aurait conduit l’exilé en lieu sûr. Pas question pour lui de tolérer ce genre d’attentats sur son sol. Pas question non plus de perdre un homme avec lequel il avait tissé d’excellents rapports…
Purge sévère
La disparition de Kim Jong-nam survient dans un contexte particulièrement tendu. Kim Jong-un a opéré à la mi-janvier une purge sévère au sein du Ministère de la sécurité de l’Etat, l’organe chargé de la surveillance de la population et de la lutte contre les dissidents. Non content d’ordonner l’exécution d’un certain nombre de responsables, il a limogé le chef de l’institution, le général quatre étoiles Kim Won-Hong, acteur central d’une précédente épuration… au cours de laquelle l’oncle et mentor du chef de l’Etat avait péri.