Le lieu est plus que symbolique. Lorsque le coup d’envoi du match France-Roumanie sera donné vendredi à 21 heures, devant les 80 000 spectateurs du Stade de France à Saint-Denis, une autre image sera dans toutes les têtes: celle de cette nuit tragique du 13 novembre, et des trois explosions qui constituèrent le coup d’envoi de la plus terrible attaque terroriste jamais commise dans l’Hexagone.

Et si les djihadistes de l’Etat islamique frappaient de nouveau, entre le 10 juin et le 10 juillet, plongeant dans l’horreur la fête européenne du ballon rond? L’inquiétude du préfet de police de Paris face aux risques des fan-zones installées dans la capitale, mais aussi les rapports alarmants des experts en sécurité sur l’extrême vulnérabilité du territoire français malgré l’état d’urgence en vigueur, disent malheureusement une incontournable part de vérité.

Application «Alerte attentat»

«Avant le 13 novembre, nous redoutions que quelque chose ne se produise. Mais nous ne savions ni quand, ni en quel lieu, ni comment ils allaient frapper», se souvient le général de gendarmerie Bertrand Soubelet, mis à la retraite anticipée pour son livre-brûlot Tout ce qu’il ne faut pas dire (Ed. Plon). Le parallèle n’est pas exagéré. Tour à tour, le président François Hollande et son Premier ministre Manuel Valls ont confirmé ces jours-ci que la menace demeurait au plus haut. Une application «Alerte attentat» pour téléphones mobiles a même été mise en service hier par le Gouvernement français: «La réalité est que nous aurons du mal à tout surveiller», concède Claude Tarlet, président du syndicat des sociétés privées de sécurité, qui n’ont jamais été aussi sollicitées.

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La fête sera pourtant au rendez-vous. Au total, sept à huit millions de supporters étrangers sont attendus en France pour ce mois dédié au ballon rond. Antoine Caton est, à Paris, le directeur du club Wanderlust où Présence Suisse a décidé d’installer ses quartiers pour faire rimer football avec créativité helvète: «Je sais que mes amis gérants de pubs s’attendent à voir déferler irlandais et anglais, explique-t-il. Sur le papier, tout est là pour nous faire oublier les galères de ces dernières semaines.»

110 000 policiers et gardes mobilisés

Oubliés donc, sitôt la compétition entamée, les inondations en région parisienne et dans le centre de la France, les mouvements de grève dans les transports qui risquent de paralyser trains et avions, le risque d’affrontements sociaux dans les grandes villes lors de la prochaine journée d’action syndicale menée par la CGT le 14 juin? A voir. La Fédération française de football, durement réprimandée par les autorités après les violences survenues aux abords du Stade de France lors de la finale de la coupe de France PSG-OM le 21 mai, sait qu’elle joue gros aux côtés de l’UEFA, organisatrice de l’événement: «Je ne me souviens pas d’une telle tension avant une compétition. Il y a de l’angoisse et de la peur. Inutile de le nier», reconnaissait lundi l’un de ses porte-parole au camp d’entraînement des Bleus à Clairefontaine, au sud-ouest de Paris.

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Pour parer au mieux aux risques sécuritaires, des mesures drastiques ont été prises. Dans un rayon d’un kilomètre autour de l’enceinte ne pourront pénétrer que les personnes munies d’un billet. Un premier contrôle du billet sera effectué, évidemment. Ensuite, au niveau de l’entrée du stade, une nouvelle vérification du billet sera opérée. Autres précautions, l’accroissement des effectifs du centre de coordination policier européen anti-hooligans à Lognes (Seine-et-Marne), et la mobilisation de plus de 90 000 policiers français, assistés par environ 20 000 agents de sécurité privés.

Réhabiliter une France attractive

Ils prendront garde, surtout, à ne pas laisser les fomenteurs de troubles profiter de l’obsession antiterroriste. Près de 3000 Européens suspects de hooliganisme ont été interdits d’entrer en France. Considérés comme les plus risqués coté violences entre supporters, les matches de la Turquie, ceux de l’Angleterre et ceux de l’Allemagne sont en haut de la liste des «menaces» pour l’ordre public. L’arrestation de près de 200 fans déchaînés en marge du match Pologne-Russie, en juin 2012 à Varsovie avait entaché le dernier Eurofoot dès l’ouverture.

«Notre priorité se résume à un objectif: que la France redevienne perçue comme une nation éprise de sport et 'touristiquement' attractive», assénait en début de semaine Jean-Francois Martins, maire adjoint de Paris chargé des sports, et promoteur de la candidature de la capitale française… pour les Jeux Olympiques de 2024. L’Eurofoot, ou la France qui ne doit pas craquer.


«Des centaines de sites seront vulnérables»

Pour le criminologue Alain Bauer, la menace «multisites» et «multimoyens» est le principal défi.

Le Temps: Les leçons des attentats de Paris et de Bruxelles ont-elles été retenues avant cet Eurofoot de tous les dangers?

Alain Bauer: En ce qui concerne cette compétition spécifique, une efficace coopération policière existe déjà contre le hooliganisme. Il y a donc un socle solide. Pour ce qui concerne la menace terroriste, on voit aussi que les choses changent. La coopération en matière de renseignement, de loin la plus difficile à mettre en œuvre, est maintenant beaucoup plus opérationnelle. Les services ont compris, surtout après le cauchemar de Bruxelles, qu’il faut tout échanger, tout de suite, pour démanteler les réseaux. Donc oui, les progrès sont réels.

- L’état d’urgence est en vigueur en France depuis le 13 novembre. Cela change tout pour cet Euro?

- J’avais dit dès le début que l’état d’urgence ne serait pas levé avant la fin de l’Euro. Son maintien est logique. On voit bien toutefois les limites de ce dispositif. L’état d’urgence a permis de faire la différence au début, grâce aux nombreuses perquisitions ou assignations à résidence. La faille reste par contre la même: celle d’une attaque multisites et multimoyens. L’Eurofoot, ce n’est pas dix stades et des dizaines de fan-zones à protéger. Ce sont des centaines, voire des milliers de sites vulnérables où supporters et public seront regroupés.

- D’autant que les forces de l’ordre sont très sollicitées, donc fatiguées…

- On approche du point de rupture. On voit bien, déjà, l’effet produit par l’envoi en première ligne (face aux mouvements sociaux, ndlr) d’effectifs policiers moins spécialisés dans le maintien de l’ordre que les CRS: les violences augmentent, une sorte de fébrilité s’installe. C’est cet engrenage-là qui est le plus préoccupant. Quand on entend dire qu’il y aura, à Paris, 400 agents pour 100 000 spectateurs alors que la norme est un agent pour 100 personnes, on réalise l’ampleur du problème!