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L'Europe de la défense prend corps, mais il faudra y mettre le prixde l'Union», selon Berne

Trois nouvelles structures politico-militaires voient le jour. Reste à convaincre les opinions publiques que le projet passe par une augmentation des dépenses militaires

Il a fallu des dizaines d'années, autant de sommets européens et des centaines de réunions d'experts pour porter l'euro sur les fonts baptismaux. Rien de tel pour l'Europe de la défense, qui se construit au pas de charge. Le projet a progressé de manière spectaculaire, passant, en un peu plus d'un an, des débats stériles aux premières réalisations concrètes. Pour preuve: deux mois à peine après la décision des Quinze de se doter d'une force de réaction rapide autonome à l'horizon 2003, les organes politico-militaires de la future défense commune européenne se mettent au travail ce mercredi.

Apprendre à «travailler ensemble»

Créés au sommet d'Helsinki en décembre, trois organes intérimaires s'installent aujourd'hui dans les locaux du Conseil des ministres de l'Union au cœur du quartier européen de Bruxelles: un «comité politique et de sécurité» composé de quinze diplomates de haut rang; un «comité militaire» où siégeront les représentants des chefs d'état-major des Quinze; et un groupe d'experts chargé de préparer la mise en place d'ici à l'an prochain d'un «état-major militaire européen» susceptible de compter à terme entre 70 et 90 officiers.

Ces trois structures, appelées à devenir permanentes, sont chargées de mettre de la chair sur les contours encore squelettiques de l'Europe de la défense. «Leurs compétences ne sont pas encore définitives, souligne un diplomate, il faut d'abord que nous apprenions à travailler ensemble.» La tâche qui attend les experts n'est pas mince: mettre en place la force de réaction rapide dont les Quinze ont promis de se doter d'ici à 2003. Tirant les leçons de leur dépendance des Américains en Bosnie et au Kosovo, les Européens veulent être en mesure de mener seuls, c'est-à-dire sans l'aide des Etats-Unis, des opérations humanitaires, d'évacuation de ressortissants et d'imposition de la paix.

Entre 50 000 et 60 000 hommes devront pouvoir être déployés en moins de deux mois sur un théâtre d'opérations en Europe, voire dans le reste du monde pour des conflits de moindre envergure. Cette «armée européenne» pourra être mobilisée pendant un an au moins, ce qui suppose que ses effectifs soient triplés, compte tenu des réservistes. Elle devra être appuyée par des éléments navals et aériens, et bénéficier d'infrastructures en matière de renseignement, de commandement et de logistique. Autant dire que les Quinze devront mettre les bouchées doubles pour convaincre les Américains, qui se méfient des velléités d'indépendance de leurs cousins européens. Ce n'est pas un hasard si Washington réclame un «droit de premier refus» pour l'OTAN, qui doit pouvoir décider la première si une opération européenne doit ou non être conduite sous la responsabilité de l'Alliance.

Les Etats-Unis auront prochainement l'occasion de tester le sérieux des ambitions européennes. Mi-avril, l'Eurocorps, une structure non intégrée à l'OTAN, prendra pour six mois le commandement de la KFOR, la force de paix alliée au Kosovo. Une première, qui illustre la étermination des Quinze d'assurer la sécurité à leurs frontières. Mais il en faudra plus. Pour pouvoir intervenir sans l'aide de l'Oncle Sam, ils devront se doter à terme de moyens logistiques performants. Une «conférence des contributeurs», prévue à l'automne, permettra d'identifier les moyens que les uns et les autres sont prêts à mettre à disposition de la future force.

Le débat promet d'être animé. Car il ne s'agira pas simplement de mieux dépenser, il faudra surtout dépenser plus pour la défense. Les chiffres parlent d'eux-mêmes: alors que les dépenses militaires représentent 3,1% du PIB outre-Atlantique, elles s'élèvent à 1,5% seulement dans un pays comme l'Allemagne, pays encore doté d'une armée de conscription organisée pour la seule défense du territoire. Moralité: il faudra convaincre les opinions publiques – et les parlements nationaux qui tiennent le cordon de la bourse – qu'une défense commune passe par une augmentation des dépenses militaires. Une gageure alors que toute menace sérieuse a disparu avec la fin de la guerre froide.