Tous les immeubles de l’Union européenne à Bruxelles comme à l’étranger, plus particulièrement aux Etats-Unis, sont actuellement passés au peigne fin pour détecter tout matériel d’espionnage. L’ordre a été donné lundi, au lendemain de la révélation faite par le Spiegel et le Guardian que l’Agence nationale de sécurité (NSA), l’un des services de renseignement américains, avait mis sous écoute les services diplomatiques européens à Washington et à New York. Les services secrets américains auraient placé des micros dans les bâtiments et infiltré le réseau informatique, ce qui leur permettait de lire les courriers électroniques et les documents internes. C’était avant 2010.

Les deux journaux ont eu accès à ces informations grâce à Edward Snowden, fugitif américain et ancien consultant de la NSA, et à présent activement recherché par la justice américaine. Cette affaire n’est pas liée directement à l’opération Prism, également révélée par Edward Snowden, selon laquelle des millions de personnes ont été surveillées par le biais des réseaux sociaux.

A ce stade, Bruxelles veut éviter toute dramatisation et exige des clarifications, ajoutant que toute décision sera prise à la lumière des réponses. Si les services de la commissaire Catherine Ashton, chargée des Affaires étrangères, privilégient la carte diplomatique, sa collègue Viviane Reding, chargée de la Justice, s’est montrée plus ferme et menaçante. «Entre partenaires, on n’espionne pas», a-t-elle déclaré dimanche. La Néerlandaise a exigé que l’UE revoie ses relations avec les Etats-Unis. A ce propos, Bruxelles et Washington entameront, lundi, un premier tour de négociations sur un accord transatlantique de libre-échange et d’investissements. «On ne peut pas négocier un tel accord s’il y a le moindre doute que nos partenaires ciblent des écoutes vers les bureaux des négociateurs européens», a-t-elle ajouté. Sous le couvert de l’anonymat, un diplomate européen, cité par l’AFP, est tout aussi virulent: «Si c’est vrai que les Américains ont espionné leurs alliés, il y aura des dégâts politiques. Cela dépasse les besoins de sécurité nationale. C’est une rupture de confiance et on est parti pour quelque chose de très sérieux.»

La colère est plus forte dans les capitales. «L’Europe et les Etats-Unis sont des alliés et la confiance doit être la base de notre collaboration», a déclaré lundi le porte-parole du gouvernement allemand. Berlin souhaite que ce sujet fasse l’objet des discussions entre le président américain Barack Obama et la chancelière allemande Angela Merkel. En France, le président François Hollande a demandé aux Etats-Unis «de cesser immédiatement leurs activités d’espionnage. Nous ne pouvons pas accepter ce type de comportement entre partenaires et alliés», a-t-il déclaré. Idem pour l’Italie qui a réclamé des clarifications urgentes par le biais d’une lettre. Bruxelles et Berlin ont également «invité» les ambassadeurs américains pour exposer leur incompréhension.

«Je comprends parfaitement que des mesures soient prises pour lutter contre le terrorisme et que des activités de renseignement sont nécessaires. Mais je n’ai pas le sentiment que dans les institutions européennes, on ait l’intention de préparer des attentats terroristes. C’est pourquoi j’estime que cette façon de faire est totalement intolérable», a déclaré Martin Schulz, président du Parlement européen, en ouvrant une session parlementaire lundi à Strasbourg. Hier, il avait qualifié l’espionnage américain de «scandale majeur». Certains responsables européens ont tout de même relativisé les accusations. Pour la ministre française de l’Economie numérique Fleur Pellerin, citée par l’AFP, «ce n’est vraiment pas la première fois que cela arrive dans l’histoire». Un diplomate à Bruxelles: «Il faut être naïfs pour se rendre compte que les Américains nous espionnent. Toutes les puissances s’espionnent mutuellement. La différence est que les Etats-Unis disposent de moyens technologiques plus sophistiqués que tous les autres pays.»

Sur le plan politique américain, le secrétaire d’Etat John Kerry a réagi le premier. Selon lui, la recherche d’informations sur d’autres pays n’est pas inhabituelle. «Je dirais que chaque pays dans le monde qui est impliqué dans les affaires internationales et de sécurité nationale exerce des activités afin de se protéger, et toutes sortes d’informations peuvent y contribuer», a-t-il déclaré lundi à Brunei, en marge d’une réunion de ministres des Affaires étrangères d’Asie-Pacifique. Même réponse de la part du président Barack Obama. En visite en Tanzanie, il a promis de livrer toutes les informations à l’Europe.

A Bruxelles où la ligne officielle est de garder le sang-froid dans l’attente des explications, un mauvais souvenir a refait surface. En 2003, l’UE avait découvert un système d’écoutes téléphoniques des bureaux de plusieurs pays dans l’immeuble qui abritait les sommets européens. Des micros avaient aussi été placés dans des cabines des traducteurs par les services secrets américains.

«Si c’est vrai queles Américains ont espionné leurs alliés,il y aura des dégâts politiques»