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L'exode des emplois fait irruption dans les primaires et met John Kerry en difficulté

John Edwards a obtenu un résultat inespéré dans le Wisconsin. Howard Dean, après une ultime défaite, se retire de la campagne et laisse les favoris à leur duel, qui va se concentrer sur l'économie et le social

«Not so fast, John Kerry!» Cette exclamation de John Edwards, dimanche soir lors d'un débat télévisé dans le Wiconsin, était prémonitoire. Pas si vite, en effet, John Kerry. Le favori pour l'investiture démocrate à la présidentielle a bien remporté mardi la primaire de cet Etat des lacs au nord de Chicago, mais sa victoire (40%) n'a pas l'ampleur (47%) qu'annonçaient les experts électoraux. Et surtout Edwards, qui a réalisé une percée spectaculaire en une semaine (de 6 à 34% des voix), atteint son but: un duel avec Kerry jusqu'au Super Tuesday du 2 mars, quand dix Etats auront leur primaire, en particulier New York et la Californie. Il l'aura, son face-à-face, puisque Howard Dean sort de la compétition (lire encadré).

Mais il ne s'agit plus d'une course. Soudain, le débat au sein du Parti démocrate a touché le nerf le plus sensible de l'opinion américaine: les emplois. John Edwards, la semaine dernière, a tenu un meeting avec les ouvriers de Tower Automotive, à Milwaukee. La direction de l'entreprise venait d'annoncer qu'une partie de la production allait être déplacée au Mexique: 500 emplois en moins dans le Wisconsin. Dans toutes les réunions qui ont suivi, Edwards a parlé des ouvriers de Tower, et mardi soir encore devant ses militants au moment des résultats de la primaire: «Ils ont travaillé et se sont battus toute leur vie, et maintenant ils se demandent comment continuer le combat. Ils peuvent continuer de se battre avec moi!»

John Kerry doit suivre

Ce n'est bien sûr pas la première fois que John Edwards parlait de la délocalisation du travail. Mais dans le Wisconsin (74 000 emplois évaporés depuis 2001), il a durci son discours. Le sénateur de Caroline du Nord est maintenant ouvertement opposé au libre-échange, y compris à l'Alena, l'accord commercial qui lie le Canada, les Etats-Unis et le Mexique. Il dit qu'il a toujours eu cette position, ce qui est difficile à vérifier: en 1993, quand Bill Clinton avait signé l'Alena, Edwards n'était qu'un avocat. Et en 2000, au Sénat, il a approuvé l'ouverture commerciale avec la Chine, premier «voleur d'emplois» aux yeux des Américains.

John Kerry, démocrate libre-échangiste et partisan de l'Alena en 1993, est obligé de suivre son adversaire sur son terrain. Il est d'autant plus contraint de le faire qu'il doit recevoir, ce jeudi, le soutien de la grande centrale syndicale AFL-CIO, mobilisée bien sûr pour la défense des emplois américains contre la grande vague de l'outsourcing. Kerry promet d'arrêter cet exode. Président, il soumettra tous les traités commerciaux, y compris l'Alena, à un examen de cent vingt jours pour vérifier qu'ils contiennent des clauses suffisantes sur la protection des travailleurs et de l'environnement dans les pays partenaires des Etats-Unis.

Cette tendance protectionniste, très peu clintonienne, est une tentation permanente chez les démocrates. Aujourd'hui, elle est en symbiose avec l'angoisse des salariés américains. Les électeurs qui ont choisi Edwards se sont déterminés – montre une étude à la sortie des urnes – dans la semaine qui a précédé le vote: celle pendant laquelle le sénateur a martelé son discours protectionniste. Et ils ont voté pour lui à cause de ce qu'il promettait, et non pas, comme les électeurs de John Kerry, parce qu'ils voient en lui le plus sûr vainqueur de George Bush.

L'emploi va s'installer à coup sûr au centre de la campagne présidentielle. Le nombre des Américains qui en trois ans sont sortis, contraints, du marché du travail s'élève à près de 2 millions, et ils ne sont plus pris en compte dans les statistiques du chômage. La Maison-Blanche affirme que les créations d'emploi vont s'accélérer: 300 000 par mois. Mais les chefs d'entreprise disent que cette prévision est deux fois trop élevée.