L’heure de la «pause» pour la mobilisation contre la réforme des retraites en France?
GREVES ET MANIFESTATIONS
AbonnéLa dixième grande journée d’action syndicale devait dire si le regain de colère de la semaine passée resterait comme un baroud d’honneur. La mobilisation n’était pas au rendez-vous ce mardi, et les syndicats assouplissent leur discours
Malgré les apparences, ce mardi, la France a peut-être vécu la journée de mobilisation la plus cruciale du mouvement contre la réforme des retraites d’Emmanuel Macron. Une forme d’heure de vérité alors que la date était moins mise en avant que certaines autres avant elle.
La précédente journée de mobilisation, jeudi dernier, avait effectivement été marquée par un rebond de mobilisation qui s’est accompagné d’une explosion des violences à la suite du passage en force du texte au parlement via l’article 49.3 de la Constitution. La dixième grande journée d’action syndicale, ce mardi, devait donc nous dire si ce regain de colère resterait comme un baroud d’honneur ou le début d’une nouvelle phase de lutte.
Résultat des courses: les grèves et manifestations nationales de ce jour ont été beaucoup moins suivies que celles de la semaine passée. Le Ministère de l’éducation a communiqué un taux de grévistes de 8,4% des enseignants contre 21,4% la semaine passée et 32,7% le 7 mars. Les syndicalistes de la CGT ont par ailleurs annoncé la suspension de la grève des éboueurs, qui a provoqué les montagnes d’ordures à Paris. Même les violences des casseurs n’ont de loin pas atteint le niveau des dernières manifestations à l’heure de publication de cet article.
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Cette décrue semble assez marquée pour que le gouvernement puisse garder l’espoir de mettre la réforme «derrière» lui, comme le disait son porte-parole Olivier Véran lundi. Pour couper l’herbe sous le pied des macronistes sur cet élément de langage ou préparer le terrain à la fin du mouvement social, les leaders syndicaux ont martelé ce mardi matin qu’ils ne demandaient plus qu’une «mise en pause» de la réforme (et donc du mouvement) pour «apaiser» tout le monde et rediscuter d’une vision du travail qui pourrait faire consensus.
Une demande de «médiation»
Laurent Berger, patron de la CFDT, le plus grand syndicat, modéré et dont la présence dans ce mouvement aura fait toute sa force, a demandé à l’exécutif de mettre en place une «médiation» pour «trouver une voie de sortie» alors que jusqu’à la semaine passée, le préalable à toute discussion était un retrait pur et simple de la réforme. Pour que cela se fasse, il a cependant appelé à «mettre en suspens la mesure des 64 ans» pendant ce temps tout en affirmant que «rentrer dans un processus de médiation» serait «un geste fort». Un appel répété quelques minutes plus tard par Philippe Martinez, leader de la CGT, deuxième syndicat du pays, plus radical: «Nous allons écrire au président de la République pour valider cette proposition», a-t-il affirmé. Même chez les alliés du président, les députés du MoDem se sont dits favorables à une telle médiation.
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«On n’a pas besoin de médiation pour se parler», a cependant répondu Olivier Véran en milieu de journée ce mardi. Et le porte-parole du gouvernement de proposer de plutôt «discuter du décret d’application de la loi» pour faire «avancer les droits des travailleurs». Pour Elisabeth Borne non plus il n’est pas question de mettre en pause sa réforme. «Mais nous sommes ouverts à trouver d’autres voies», a-t-elle dit à BFMTV.
Peur d’aller manifester
Du côté du cortège parisien ce mardi, à l’heure du rendez-vous place de la République, les manifestants étaient peu nombreux mais tendus et bruyants, voire radicaux dans leurs propos contre Emmanuel Macron. Ils continuaient à y croire, la foule allait arriver un peu plus tard que d’habitude selon eux, mais ils reconnaissaient aussi que les jours de grève, et donc de salaire perdu, commençaient à s’accumuler et donc à rendre la mobilisation compliquée. «Il faut du dialogue maintenant», nous a lancé Ahmed, militant CGT dans le commerce qui a participé à tous les cortèges depuis fin janvier. «La colère est bien plus large que sur la question des retraites. Les tensions sont exacerbées. Tout est entre les mains du gouvernement. Il aurait dû parler des conditions de travail avant de faire sa réforme. Mais c’est toujours un bon sujet de discussion.»
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Magalie, réalisatrice de 50 ans, pense quant à elle que le gouvernement a provoqué les violences pour desservir le mouvement. «Macron ne fait preuve que de mépris. C’est sciemment qu’il met de l’huile sur le feu. Certaines amies m’ont dit qu’elles avaient peur de venir aux manifestations maintenant.» Magalie ne condamne cependant pas les violences des casseurs: «Ce n’est pas mon mode de militantisme, mais après neuf manifestations pacifiques sans effet, je les comprends.»
Quant à la jeunesse, dont le gouvernement craignait la mobilisation ce mardi, deux étudiantes très militantes présentes à la place de la République nous ont assuré qu’elles restaient très investies dans le mouvement. «On ne se mettra pas en pause, on est trop énervés pour attendre, c’est pour ça que des manifestations sauvages ont commencé à voir le jour la semaine dernière. Le gouvernement a peur de la jeunesse et chaque fois qu’il prend la parole, ça relance notre mouvement.» Reste à savoir si les masses continueront à suivre. Une potentielle dernière grande mobilisation est évoquée pour la semaine prochaine, puis ce sera les vacances scolaires… et la possible validation finale (en tout cas en partie) du texte par le Conseil constitutionnel.
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