Justice
Le juge chargé d’instruire le dossier à charge contre des responsables du régime de Bachar el-Assad a été nommé. Retour sur cette étape importante dans la lutte contre l’impunité de Damas

Quand elle découvrit pour la première fois la photo de son frère, mort, torturé, sur l’application WhatsApp de son téléphone portable, A. H commença à trembler. Elle était seule dans son salon de coiffure dans le quartier de Chapinero, dans la banlieue ouvrière de Madrid. C’était en 2015. Bien que vivant à l’étranger, elle était proche de son frère de Syrie, qui fut tantôt chauffeur de bus, de taxi avant de fournir des magasins en denrées avec son véhicule. Un peu moins de deux ans plus tard, comme l’a révélé «Le Temps», elle a déposé mercredi la première plainte pénale contre des membres des forces de sécurité et des renseignements du régime syrien. En qualité de victime indirecte des crimes commis contre son frère.
C’est le juge Eloy Velasco, de l’Audienca nacional, un tribunal de grande instance de la capitale espagnole, qui va instruire le dossier fort de 3600 pages de documents. Il s’était déjà distingué en menant un procès retentissant impliquant des militaires salvadoriens.
Pour parvenir à cette Syrienne parlant parfaitement l’espagnol, qui vit en Espagne depuis cinq ans et qui a depuis été naturalisée, Stephen Rapp, ex-ambassadeur de l’administration Obama pour les questions relatives aux crimes de guerre, a dû se rendre à Istanbul. Il y a rencontré des représentants d’une association qui avait créé une page Facebook avec les photos de César, un photographe de la police syrienne qui fit défection. Objectif: identifier les victimes du régime syrien parmi les plus de 50 000 clichés pris par le déserteur entre 2011 et 2013.
Dans la liste de familles de victimes qu’on soumet à l’ex-ambassadeur, un numéro de téléphone attire son attention: 34. C’est le code international pour l’Espagne. Il localise ainsi A. H. La procédure s’amorce avec Almudena Bernabeu, une avocate espagnole de San Francisco. Stephen Rapp reconnaît que son lieu de résidence est une chance. La justice espagnole est prête à inculper des responsables de haut niveau pour autant qu’un membre de la famille de la victime soit espagnol.
«Terrorisme d’Etat»
Jeudi, Stephen Rapp, qui fut le procureur général du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, ne cachait pas sa satisfaction de battre une brèche dans l’impunité du régime de Bachar el-Assad. La plainte pénale accuse neuf individus de terrorisme d’Etat. Il y a parmi eux, explique-t-il, notamment les directeurs d’un centre de détention et du Département des renseignements militaires et des individus travaillant dans la cellule de crise mise en place par le régime de Bachar el-Assad peu après l’éclosion du Printemps syrien. La justice espagnole a demandé à l’accusation de ne pas divulguer les noms des accusés, soulignant qu’ils pourraient, le cas échéant, être interpellés par surprise hors de Syrie. Ils sont accusés d’avoir participé à la torture et à l’exécution du frère de la plaignante, 43 ans. «Il est question ici de terrorisme d’Etat. Ces individus ont utilisé la violence pour intimider la population et non pas pour obtenir des informations spécifiques. Elles n’ont d’ailleurs rien tenté pour cacher ces crimes.»