Empêtré dans un nouveau scandale de mœurs après les révélations selon lesquelles il serait étrangement intervenu pour faire libérer «Ruby», une jeune mineure arrêtée par la police pour vol, Silvio Berlusconi estime être victime d’un complot. Politiquement affaibli depuis plusieurs mois en raison notamment de la crise économique et de dissidences dans son propre camp, il craint en particulier de nouvelles enquêtes après sa récente mise en accusation par le Parquet de Rome qui le soupçonne, avec son fils, de fraude fiscale.

Mais le regard de Silvio Berlusconi est également tourné en direction de la Sicile, où, depuis des années, son nom est régulièrement cité par des personnages liés à Cosa Nostra. En août dernier, Massimo Ciancimino, le fils de l’ancien maire démocrate-chrétien de Palerme Vito Ciancimino, condamné pour lien avec la mafia, et sa mère ont ainsi affirmé qu’à la veille des législatives de 2001 le Cavaliere aurait fait parvenir de l’argent à Bernardo Provenzano, le parrain des parrains, alors en cavale. L’objectif était-il de s’assurer le soutien électoral des clans?

Plusieurs semaines auparavant, Massimo Ciancimino, lui-même sous enquête pour collusion avec la Pieuvre, avait soutenu que les boss siciliens avaient, «dans les années 70 et 80, effectué de gros ­investissements dans la société Edilnord», l’entreprise de construction du Cavaliere. «Silvio Berlusconi n’a jamais eu de contact direct ou indirect avec Vito Ciancimino» (décédé en 2002), a durement répliqué son avocat, Nicola Ghedini.

Mais l’an passé déjà, un repenti de la mafia, Gaspare Spatuzza, avait mis en cause le président du Conseil en soutenant que son entrée en politique, en 1994, aurait été appuyée par la Pieuvre. Au cours de sa déposition, il a notamment déclaré que Giuseppe Graviano, parrain du quartier palermitain de Brancaccio, lui avait confié à Rome, en janvier de cette même année, que Berlusconi était devenu un interlocuteur de Cosa Nostra: «Il m’a donné le nom de Berlusconi et m’a dit que, grâce à lui et grâce à notre compatriote sicilien [Marcello Dell’Utri, ndlr], nous avions le pays en main.»

Gaspare Spatuzza n’a toutefois pas fourni beaucoup plus de détails et Giuseppe Graviano, actuellement en prison, n’a pas confirmé les faits. «Ce sont des accusations infondées et infamantes», ont répliqué les proches du leader de la droite qui rappellent le pedigree criminel de ses accusateurs. Avant de collaborer avec la Justice, Gaspare Spatuzza avait notamment été condamné à perpétuité pour l’assassinat d’un prêtre anti-mafia.

Reste que ces déclarations ont relancé les interrogations sur les ombres siciliennes qui ont entouré l’ascension dans les affaires puis en politique de l’actuel numéro un italien. Le premier épisode troublant remonte aux années 70, lorsque Silvio Berlusconi se lance dans le secteur de la construction avec l’aide financière de la banque Rasini où travaille son père. En 1984, lorsqu’un journaliste demandera à l’ancien banquier véreux Michele Sindona «quelles sont les banques qu’utilise la mafia», celui-ci répondra: «A Milan, une petite banque qui se trouve Piazza dei Mercanti», siège de la banque Rasini.

L’origine des fonds de l’empire Berlusconi, cachés derrière d’innombrables sociétés écrans comme l’a révélé le livre de Marco Travaglio et Elio Veltri L’Odeur de l’argent n’a jamais été totalement élucidée. Mais l’élément décisif est constitué par l’entrée en scène de Marcello Dell’Utri. Habile, cultivé, ce Palermitain, ancien camarade d’université de Silvio Berlusconi, devient son bras droit au début des années 70. Il sera plus tard responsable de Publitalia, la très puissante régie publicitaire de la Fininvest.

C’est Marcello Dell’Utri qui, en 1973, introduit le parrain palermitain Vittorio Mangano dans la villa de Silvio Berlusconi. Officiellement, à Arcore, Mangano est garçon d’écurie. Il y restera environ deux ans. «Au sein de Cosa Nostra, c’était l’une des rares personnes en mesure de gérer les rapports avec les milieux industriels», expliquera plus tard le juge Paolo Borsellino, assassiné en 1992. En 2000, Vittorio Mangano sera condamné à la perpétuité pour meurtres.

Quant à Marcello Dell’Utri, il a été lui aussi condamné en juin dernier par la Cour d’appel de Palerme à 7 ans de prison pour «complicité d’association mafieuse». En première instance, les juges avaient parlé d’une «contribution concrète, volontaire, consciente» à la «consolidation et au renforcement de Cosa Nostra» à travers notamment ses rapports avec le groupe Fininvest. Grâce à son intermédiaire, Silvio Berlusconi aurait personnellement rencontré en 1974 le grand boss palermitain Stefano Bontade. «A la fin, Berlusconi nous a dit qu’il était à notre entière disposition», a raconté le repenti Francesco Di Carlo, présent à la réunion. A l’époque, l’homme d’affaires craignait, pour lui et sa famille, des enlèvements de la mafia.

Entre le paiement du racket pour protéger ses relais de télévision en Sicile ou les accords politiques pour aider Marcello Dell’Utri à lancer, en 1993, Forza Italia, la carrière de Silvio Berlusconi est ainsi ponctuée de soupçons et de mystères. Certains vont jusqu’à suspecter une responsabilité derrière les attentats de la mafia en 1993 à Rome, Milan et Florence, qui auraient servi à préparer son entrée en campagne, comme si l’aventure du candidat Silvio Berlusconi n’était qu’une histoire criminelle et non un phénomène politique.

Le chef du gouvernement rejette en bloc tous les soupçons, rappelant régulièrement que son gouvernement est celui qui a procédé au plus grand nombre d’arrestations d’hommes d’honneur. Cependant, il continue à défendre mordicus son ancien bras droit Marcello Dell’Utri, victime selon lui de juges politisés, et estime publiquement que le parrain Vittorio Mangano – qui ne l’a jamais mis en cause pour obtenir d’éventuelles réductions de peines – a été «un héros».