C’est désormais officiel, les conservateurs gagnent les élections mais n’ont pas la majorité absolue au parlement, selon les résultats définitifs publiés dans 615 des 650 circonscriptions. Les tories emportent 36,2% des voix, les libéraux-démocrates 22,9%, soit beaucoup moins qu’attendu, et les travaillistes 29,1%, le pire score du Labour en termes de suffrages depuis 1983. Les chiffres officiels complets seront connus en fin d’après-midi. Des semaines de tractations politiques devraient suivre, Gordon Brown n’ayant pas l’intention de raccrocher.

En début d’apres-midi, il a d’ailleurs annoncé que si les négociations échouaient entre conservateurs et libéraux démocrates, il entamerait des nègociations avec eux.

Professeur émérite de la London School of Economics, George Jones est un fin analyste de la politique britannique.

Le Temps: Le Royaume-Uni s’oriente pour la première fois depuis 1974 vers un parlement sans majorité absolue (un «parlement suspendu»). Votre réaction?

George Jones: Je n’ai pas à l’esprit une situation similaire dans le système démocratique moderne du Royaume-Uni. C’est inédit. Les trois principaux partis ont en quelque sorte perdu. Le premier ministre travailliste Gordon Brown a perdu des sièges, le leader conservateur a gagné le plus grand nombre de suffrages, mais insuffisamment pour avoir une majorité absolue à Westminster. Et enfin, les libéraux-démocrates font même moins bien qu’il y a cinq ans. Les Britanniques ont l’air d’être sonnés par ces résultats. Ils répliquent pourtant d’autres situations similaires ailleurs en Europe. Cette situation est d’autant plus regrettable que le pays a besoin d’un gouvernement solide pour rétablir l’économie et les finances.

Comment expliquez-vous la déconvenue du Parti libéral-démocrate qui a pourtant réalisé une percée durant la campagne électorale de son leader, Nick Clegg?

– C’est toute la distorsion qu’ont apportée les débats télévisés. On a transformé les élections britanniques en élections de style présidentiel alors qu’on est dans un système de gouvernements de cabinet. Les médias ont été trop interventionnistes. Les médias appartenant à Murdoch ont poussé pour que de tels débats aient lieu pour la première fois dans une campagne électorale britannique. C’est malheureux. On réduit le débat politique à un jeu où comptent davantage le charme et le charisme que la substance. On ne s’intéresse plus aux programmes des partis. Clement Attlee est considéré comme l’un des meilleurs premiers ministres britanniques. Dans un débat télévisé, il aurait complètement échoué. A contrario, Anthony Eden, qui n’a pas laissé un souvenir impérissable avec son plan d’invasion de l’Egypte, aurait été brillant. La politique ne sort pas gagnante de tels débats.

– On laisse entendre que Gordon Brown pourrait s’accrocher au pouvoir et tenter de former un gouvernement avec le soutien des libéraux-démocrates. Qu’en pensez-vous?

– Même si elle n’est pas écrite, la Constitution prévoit qu’il incombe au premier ministre en place d’essayer de former un gouvernement. S’il parvient à obtenir un soutien suffisant à la Chambre des communes, c’est son histoire. Mais même avec les lib-dems, les travaillistes n’auraient pas une majorité absolue.

– On dit que les Conservateurs pourraient former un gouvernement avec les petits partis. Est-ce une solution?

– Une telle solution serait très préoccupante. S’allier avec les Unionistes nord-irlandais ou le Scottish National Party serait très dangereux. Ces formations sont très volatiles et ont des intérêts très régionaux. L’instabilité gouvernementale serait considérable. La seule véritable option pour David Cameron, c’est un accord avec les libéraux-démocrates.

– Les élections risquent aussi de mettre à mal l’union entre les différentes régions du pays, l’Ecosse, l’Irlande du Nord, l’Angleterre et le Pays de Galle. David Cameron n’a pas de députés conservateurs en Irlande du Nord et n’en a qu’un seul en Ecosse.

– Pour l’état du Royaume-Uni, c’est inquiétant. Si Tony Blair avait eu raison de déléguer des pouvoirs à ces régions, on risque de voir émerger entre le pouvoir central et ces pouvoirs décentralisés de vives tensions.