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L'incendie d'un «resto du coeur» juif à Paris suscite une vague d'indignation et d'inquiétude

Les autorités condamnent fermement la multiplication des profanations et des actes malveillants contre des bâtiments occupés par des institutions juives. Les interprétations divergent sur les motifs de leurs auteurs et sur le lien entre l'augmentation de l'antisémitisme et le conflit israélo-palestinien.

L'un des derniers souvenirs de la communauté juive séfarade – en partie d'origine turque – qui s'est installée après la Première Guerre mondiale dans le XIe arrondissement de Paris, au nord de la place de la Bastille, a été détruit dans la nuit de samedi à dimanche par un incendie criminel. Il s'agit d'un centre social, où se réunissaient des personnes âgées. Il faisait fonction de «restaurant du cœur» et distribuait des repas casher. L'incendie s'est déclaré dans un local d'une centaine de mètres carrés au rez-de-chaussée d'un immeuble d'habitation. Il a été maîtrisé avant de s'étendre aux étages, grâce à l'alerte déclenchée par une patrouille de police qui fait régulièrement des rondes dans le quartier où se trouve une synagogue.

«Sans les juifs, le monde est heureux», cette inscription, trouvée dans le local avec plusieurs autres de même nature, ne laisse planer aucun doute sur le caractère à la fois criminel et antisémite de l'incendie.

Consternation

Le maire socialiste de Paris, Bertrand Delanoë, qui s'est rendu sur place dimanche matin, a dit «sa consternation et son horreur»; il a dénoncé «un climat malsain et dangereux» et il a déploré un événement «particulièrement douloureux au moment où l'on célèbre la Libération de Paris» en août 1944. Le président de la République a condamné «avec force cet acte inqualifiable»; il «rappelle la détermination absolue des pouvoirs publics à rechercher les auteurs de ces agissements inacceptables pour qu'ils soient jugés et condamnés avec la plus grande sévérité». Devant le centre social incendié, le premier ministre Jean-Pierre Raffarin a rappelé «que les auteurs de tels crimes – ici nous pouvons parler de crimes, a-t-il souligné, puisqu'il y a incendie volontaire et signature raciste – encourent des peines de prison pouvant aller jusqu'à 20 ans. […] L'ensemble des forces du pays sera mobilisé pour que les criminels qui se livrent à de tels actes puissent être rapidement arrêtés et sévèrement punis».

Aussi fermes soient-elles, ces déclarations ne parviennent pas à calmer l'inquiétude de la communauté juive de France. L'incendie criminel survient immédiatement après la profanation de 60 tombes juives dans un cimetière de Lyon (dont l'auteur s'est livré à la police), et des inscriptions antisémites sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris (lire l'encadré). Des actes de ce type ont frappé aussi bien la communauté juive que la communauté musulmane. Cependant, alors que les actes racistes sont généralement en augmentation, la proportion de ceux qui sont dirigés contre des juifs est passée de 60% en 2002 à 72% en 2003. Interrogé dimanche sur Europe 1, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) reconnaissait la volonté d'action des pouvoirs publics, mais il notait que les tribunaux ne font pas toujours preuve d'une pareille rigueur. Il citait l'exemple de deux élèves chassés d'un collège parisien pour des actes d'antisémitisme et réintégrés par la justice.

En France, plus personne ne nie l'existence d'une vague d'antisémitisme, même si les appréciations sur sa nature et sur son origine sont souvent divergentes. Certains l'attribuent au conflit israélo-palestinien, et notamment à la colère provoquée par la politique du gouvernement d'Ariel Sharon dans la communauté française d'origine musulmane. L'arrestation de Michael Tronchon alias «Phinéas», auteur de la profanation de Lyon du 9 août, et celle de Matthieu Massé, tagueur de croix nazies sur le mémorial juif de Douaumont près de Verdun dans la nuit du 6 au 7 mai – qui vouent tous les deux une haine indistincte à l'égard des Arabes et des juifs, et qui sont fascinés par l'idéologie nazie et par l'extrême droite – permettent de penser qu'une partie au moins de ces actes antisémites n'est pas liée à l'importation en France du conflit du Proche-Orient.