Son nom est évocateur: INS Arihant. En sanskrit, cela signifie «destructeur d’ennemis». Dimanche, l’Inde a inauguré son premier sous-marin nucléaire dans les eaux de la localité de Visakhapatnam, en Andhra Pradesh. Le premier ministre indien Manmohan Singh a tenu à donner à l’événement une importance qui révèle la nouvelle volonté de puissance de l’Inde: «C’est un moment historique dans le cadre de notre Défense nationale.» Ironie de l’Histoire: la cérémonie a eu lieu le jour même de la commémoration du dixième anniversaire de la victoire de l’Inde sur le Pakistan à Kargil dans le Cachemire.
La menace chinoise
New Delhi est ainsi sur le point de se doter de capacités de seconde frappe nucléaire. Selon Asia Times, le INS Arihant, un vaisseau de 6000 tonnes, sera armé de 12 missiles K-15 munis de têtes nucléaires de 5 tonnes ayant une portée de 750 kilomètres. Plus tard, il devrait transporter des missiles d’une portée de 3500 kilomètres. Ce n’est certes pas le premier sous-marin de la Marine indienne. Celle-ci dispose de 16 sous-marins conventionnels qui, contrairement aux submersibles à propulsion nucléaire, doivent régulièrement monter à la surface des mers pour faire le plein d’oxygène nécessaire au fonctionnement des moteurs. De plus, en 1988, les Russes prêtèrent aux Indiens un sous-marin nucléaire jusqu’en 1991. Mais c’est la première fois que l’Inde se construit elle-même un tel vaisseau.
Même si cela reste de l’ordre des non-dits, New Delhi a bénéficié de l’aide de l’allié historique, la Russie, pour développer cette nouvelle technologie. Lors de l’inauguration de dimanche, de nombreux officiels russes étaient présents.
Le programme de sous-marins nucléaires n’est pas une lubie récente de l’Inde. Il remonte aux années 1970 et 1980 quand New Delhi lança un vaste projet technologique de 2,9 milliards de dollars. Le sujet est manifestement sensible. Les autorités indiennes ont tenté de garder longtemps secret leur programme nucléaire. Elles ont admis son existence il y a quelques mois seulement. Chercheur à l’Institut français de relations internationales et spécialiste de l’Inde, Gilles Boquérat souligne que cet événement s’inscrit «dans le grand jeu maritime entre l’Inde et la Chine. A New Delhi, on parle beaucoup de la menace chinoise, même si elle est un peu fantasmée.» Il est vrai que Pékin est en train de développer un vaste programme de construction de ports en eau profonde dans la région. Plus inquiétant encore: la Chine dispose déjà, selon Asia Times, de dix sous-marins nucléaires et ambitionne d’en construire dix autres.
Gilles Boquérat relève qu’en 1999 déjà New Delhi annonçait sa volonté de développer des vecteurs nucléaires dans les trois secteurs de la Défense, les forces aériennes, l’armée de terre et la marine: «Cela s’inscrit dans le projet de grande puissance de l’Inde qui a d’ailleurs présenté, le 6 juillet dernier, une hausse importante de son budget destiné à la Défense. Le motif est en partie lié à la Chine, mais il découle aussi du souci de sécuriser les voies maritimes dont l’Inde dépend beaucoup en raison de ses importations importantes d’hydrocarbures en provenance du Moyen-Orient.»
Livraison russe
Les responsables indiens parlent de moment historique, mais ils tiennent aussi à relativiser le caractère belliqueux du programme. Ils insistent sur le fait que le INS Arihant est un vaisseau de défense. Pourtant, cette année encore, Moscou devrait prêter à l’Inde un sous-marin nucléaire d’attaque de 12 000 tonnes.
Les spécialistes de la région craignent que cette montée en puissance d’une Inde nucléaire ne soit pas de nature à rassurer le voisin pakistanais. «Le Pakistan, remarque Gilles Boquérat, a les mêmes demandes que l’Inde pour accéder aux technologies nucléaires. Mais Islamabad n’aura jamais droit à un tel privilège. Le réseau Khan (ndlr: père de la bombe pakistanaise) a grandement contribué à miner la crédibilité du Pakistan en matière de prolifération. L’Inde au contraire bénéficie d’une bonne réputation.»