L'insécurité croissante en Afghanistan pousse les ONG à se replier sur Kaboul
AFGHANISTAN
Les talibans seraient en passe de se réorganiser et appellent à s'en prendre directement aux employés des organisations humanitaires.
«Ils ont ouvert le feu sur le poste de sécurité du district. Ils étaient à bord de trois véhicules et ont fui vers la frontière pakistanaise. Nous ne les avons pas retrouvés», affirmait, le 7 août dernier, le responsable de la province de Helmand, au sud de l'Afghanistan. Bilan: six soldats afghans et un membre de l'organisation humanitaire Mercy Corps Aid Agency tués. Plus récemment, deux membres du Croissant-Rouge ont été assassinés et trois autres blessés dans le centre du pays, l'association Save the Children déplore deux blessés par balles dans le nord-est et cinq démineurs, employés par l'ONG Mine Dog Center ont été violemment battus dans la province du Wardak, à l'ouest de Kaboul. Depuis le début du mois d'août, près d'une centaine de civils et militaires afghans sont morts et des dizaines ont été blessés. L'insécurité touche désormais toutes les provinces du sud et de l'est de l'Afghanistan. Ces incidents ont contraint la plupart des associations humanitaires opérant dans ces régions à interrompre leurs activités et à rapatrier leur personnel sur Kaboul.
Le retour du mollah Omar
De récents rapports font état d'une réorganisation des talibans en mouvement de guérilla et du retour du mollah Omar. Dans un tract diffusé dans le sud du pays, le chef des fondamentalistes afghans appelle à lutter contre les ONG et leurs membres, considérés comme «les plus grands ennemis de l'islam et de l'humanité». Les humanitaires sont ainsi devenus des cibles de choix pour les opposants au régime de Kaboul, qui hésitent encore à attaquer frontalement les 12 500 hommes des forces de la coalition dirigées par les Américains. «Nous pouvons répliquer, ce qui n'est pas le cas des humanitaires», estime le lieutenant-colonel Douglas Lefforge, porte-parole des GI en Afghanistan. Dans les ONG, les consignes de sécurité redoublent: couvre-feu, éviter les places publiques, réduction des déplacements.
Ambiguïté américaine
La tension monte. Les agences des Nations unies, quant à elles, renforcent leur sécurité: le Haut- Commissariat pour les réfugiés a fermé ses bureaux dans la province de Kunar (est), la semaine dernière, après une attaque à la roquette. Depuis le début du mois, les missions par route des agences de l'ONU sont suspendues dans tout le sud, après des attaques contre des convois. Et le lancement par l'armée américaine, en janvier 2003, de ses «Equipes de reconstruction provinciales» (PRT) qui mènent des projets humanitaires sous bonne garde, a brouillé les limites entre actions humanitaires et militaires.
Mais la résurgence talibane n'est pas l'unique problème d'insécurité. Le banditisme réapparaît, notamment sur les grands axes routiers. La culture du pavot, qui représente une formidable manne financière, suscite également des escarmouches quotidiennes entre commandants locaux. Des escarmouches dont les humanitaires font aussi les frais. A ce titre, le haut représentant de Kofi Annan en Afghanistan, Lakhdar Brahimi, a réaffirmé l'urgence de réformer trois institutions clefs: les ministères de la Défense et de l'Intérieur, ainsi que les services de renseignements, aux mains des héritiers de Massoud. Cette réforme conditionne, selon lui, le désarmement du pays, les commandants locaux refusant de rendre leurs armes à des services dirigés par une même faction.
L'OTAN qui a pris, le 11 août, le haut commandement de l'ISAF, la force internationale qui sécurise la capitale et ses environs, ne prévoit pas dans l'immédiat une extension de son mandat à tout le territoire. En attendant, les expatriés comme les Afghans subissent cette insécurité. Face à ce sentiment croissant, plus d'une centaine de femmes ont manifesté pour la première fois dans la capitale, début août, pour demander une plus forte protection pour tous. Selon le général allemand en charge de l'ISAF juste avant l'arrivée de l'OTAN, «les conditions de sécurité dans les provinces sont insuffisantes pour organiser les élections générales de juin 2004. La présence de 25 000 observateurs étrangers sera nécessaire pour assurer le bon déroulement du scrutin. Et sans protection, ils ne se déplaceront pas en Afghanistan. Autant dire que le processus électoral est, pour l'instant, impossible à mettre en place». Un sentiment partagé par l'ensemble des associations humanitaires.