La scène fait déjà frissonner la Maison Blanche: Benyamin Netanyahou ovationné par le Congrès debout comme un seul homme, pour un discours condamnant la politique iranienne... de la Maison Blanche, quelques blocs plus loin. Un cauchemar. C’est peu dire que l’invitation surprise de John Boehner, le président de la Chambre des représentants, au premier ministre israélien suffoque Barack Obama.

Le toujours président démocrate, en poste pour encore deux ans, mais qui doit composer avec un Congrès totalement passé sous contrôle républicain depuis les dernières élections, a appris l’existence de l’invitation juste avant qu’elle soit rendue publique par John Boehner, mardi. «Face aux défis actuels, je demande au premier ministre de s’exprimer devant le Congrès sur les graves menaces que l’islam radical et l’Iran représentent pour notre sécurité et notre mode de vie», a déclaré John Boehner. Pour lui, le président Obama sous-estime gravement le danger iranien, et la menace qu’il fait peser sur Israël.

«Le protocole classique est que le dirigeant d’un pays prenne contact avec le dirigeant du pays dans lequel il se rend, c’est certainement la façon dont les voyages du président Obama à l’étranger sont organisés, et cet événement semble donc être un écart au protocole», a répondu le porte-parole du président, Josh Earnest.

Un «understatement» tout diplomatique qui cache mal la fureur de l’exécutif, tant le bon coup des Républicains pourrait mettre à bas des années d’efforts de Barack Obama pour régler la question iranienne, qui mine les relations entre Israël et les Etats-Unis.

Car le président américain veut garder la haute main sur le dossier ultra-sensible, et a promis de mettre son veto à toute nouvelle proposition de sanctions supplémentaires contre l’Iran, alors que tous les parlementaires républicains, mais aussi certains démocrates, sont favorables à une hausse de la pression contre Téhéran, pour obliger les Iraniens à signer avant la date-butoir du 1er juillet un accord sur le nucléaire. Ils sont ainsi nombreux à défendre un projet de loi bipartisan, «Menendez-Kirk» du nom de ses auteurs, qui imposerait graduellement des sanctions nouvelles contre l’Iran en cas d’échec des négociations internationales, en juillet. «Plus j’écoute l’administration, plus j’ai l’impression d’entendre des éléments de langage de Téhéran», a même expliqué un de ses co-auteurs, le sénateur Robert Menendez, un démocrate...

Mais pour Barack Obama, promettre de nouvelles sanctions serait extrêmement contre-productif, il l’a redit dans son discours sur l’état de l’Union cette semaine, en usant de mots très directs pour demander aux représentants de «retenir leurs attaques».

La venue du président israélien, très populaire au Congrès, où ce sera la 3e fois qu’il va parler (seul Winston Churchill avant lui a eu cet honneur), sonne donc comme un désaveu cinglant de sa politique. Bibi pourrait même contribuer à convaincre le Congrès que seule la manière forte peut l’emporter avec Téhéran. Or le veto présidentiel ne tient plus dès lors que dans chacune des chambres, une majorité des deux tiers est atteinte...

Victimes collatérales

Les deux hommes se rencontreront-ils avant, ou après ce discours du 11 février? L’incident protocolaire illustre aussi leurs relations, fraîches - ils se sont parlé au téléphone le 12 janvier, à un moment où Benyamin Netanyahou avait déjà accepté l’invitation au Congrès. Il n’en a bien sûr été nulle question dans leur entretien...

«Bibi» est populaire aux Etats-Unis, où la question de la sécurité israélienne dépasse les clivages partisans. Parlant un anglais parfait, il est régulièrement invité dans les grands talk-shows politiques. En octobre, devant les caméras, et assis dans le Bureau ovale près de Barack Obama, il l’avait déjà en quelque sorte mis en garde contre un accord faible qui mènerait l’Iran «au seuil de la puissance nucléaire». Sa venue est un nouvel exemple de la mésentente entre les deux hommes, qui affaiblit la diplomatie américaine.

Du côté israélien, l’invitation républicaine ressemble à un coup de pouce donné au candidat Netanyahou, qui se représente aux élections législatives israéliennes du 17 mars, même si on peut débattre de l’utilité à moyen terme pour Bibi d’interférer dans la bataille que se sont lancée Congrès et Maison Blanche. Si les négociations avec l’Iran dérapent et que la tension se remet à monter entre Washington et Téhéran, alors que la voie diplomatique de la négociation l’emporte depuis quelques années, le premier ministre israélien pourrait voir son crédit considérablement chuter dans l’opinion publique américaine, qui refuse absolument toute idée de confrontation avec l’Iran.

En Iran enfin, la venue Benyamin Netanyahou est aussi un mauvais coup porté à la présidence Khamenei, qui promeut la diplomatie pour atteindre ses buts, tandis que dans son propre camp, des «faucons» expriment régulièrement la tentation d’abandonner les négociations et de continuer les programmes nucléaires coûte que coûte.

Le coup porté par les Républicains à Obama est certain. Les coûts restent à venir...