La nouvelle est désormais pratiquement officielle. A l’aide de nouvelles «cascades» de centrifugeuses, installées dans un site sous-terrain à Fordow, l’Iran est en voie d’augmenter de manière significative l’enrichissement de son uranium. «Nous sommes entrés maintenant dans une nouvelle temporalité», confirme Benjamin Hautecouverture, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, à Paris. «Les ingénieurs iraniens ont beaucoup travaillé, insiste-t-il. Nous nous approchons du moment où l’Iran pourra disposer d’une quantité suffisante d’uranium enrichi à 20% et se mettre ainsi à fabriquer de l’uranium de qualité militaire.»
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Un aboutissement logique
Cette situation est l’aboutissement logique d’écarts successifs soigneusement contrôlés par Téhéran. L’accord signé à Vienne en juillet 2015, entre l’Iran et les cinq puissances du Conseil de sécurité (ainsi que l’Allemagne), laissait à l’Iran la possibilité de disposer de 300 kilos d’uranium faiblement enrichi (au-dessous du seuil de 3,67%). Or, après le retrait de cet accord de l’administration Trump, en 2018, la République islamique a pris garde de ne jamais dénoncer le texte à son tour frontalement.
Mais elle a commencé à raccourcir ce que les spécialistes appellent le break out time, soit le délai nécessaire pour la fabrication d’une arme nucléaire rudimentaire. «Ce délai est actuellement d’environ cinq mois, poursuit Benjamin Hautecouverture. Et cela provoque désormais un sentiment d’urgence généralisé.»
Rejoindre à nouveau l’accord, connu par l’acronyme de JCPOA (pour Joint Comprehensive Plan of Action)? Joe Biden semble d’autant plus disposé à revenir sur la décision de son prédécesseur qu’il s’est entouré de nombre de responsables qui ont précisément joué les premiers rôles dans l’équipe de Barack Obama à l’heure de négocier cet accord avec l’Iran. Antony Blinken, le nouveau chef de la diplomatie américaine est l’un de ceux-là. Mais cette semaine, il rappelait la condition que posent désormais les Etats-Unis: avant que Washington ne songe à lever les sanctions qui frappent l’Iran, disait-il, c’est à Téhéran de se conformer aux termes de l’accord. Or, «nous en sommes très loin», s’exclamait-il.
Des conditions irrecevables
La reprise éventuelle du dialogue avec Téhéran n’est pas un thème très populaire au Congrès américain. Tout déterminé qu’il soit à effacer les années Trump, Joe Biden entend accompagner un éventuel retour au JCPOA par des concessions iraniennes, notamment en matière d’acquisition de missiles de moyenne et longue portée. De même, les Etats-Unis exigent de l’Iran qu’il mette fin à son expansion régionale, en Syrie, en Irak ou au Yémen.
Autant de conditions qui sont irrecevables de la part des dirigeants de la République islamique. Sur CNN, le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, a évoqué en passant l’aide apportée par les Etats-Unis à l’Arabie saoudite (responsable en bonne partie de la guerre au Yémen) ou encore la proximité des Américains avec Israël pour suggérer que l’idée de vouloir limiter les ambitions régionales iraniennes était le meilleur moyen de s’enfoncer dans une impasse. La simultanéité entre la fin des sanctions américaines, d’un côté, et le retour au respect du JCPOA par l’Iran, de l’autre? «On peut y arriver en un seul jour», certifiait Javad Zarif.
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Le responsable iranien appelait à la rescousse les Européens afin qu’ils aident Téhéran et Washington à renouer les fils de la négociation. Mais, pratiquement au même moment, l’Iran célébrait le lancement d’une nouvelle fusée qui fait partie d’un programme civil visant à placer sur orbite des satellites mais qui pourrait tout aussi bien préfigurer les lanceurs de missile à longue portée qu’ambitionne l’Iran. Conclusion de Benjamin Hautecouverture: «Le message a été reçu 5 sur 5 par tout le monde, et il est redoutable.»