Diplomatie
Palerme accueille une conférence internationale sur la Libye. Rome souhaite retrouver son rôle de leader dans ce dossier délicat en renforçant le plan des Nations unies. Mais maladresses et rivalité avec la France n’arrangent rien

Le mot d’ordre est «inclusion». L’Italie a voulu réunir à Palerme tous les acteurs impliqués dans le dossier libyen dans l’espoir de débloquer le processus politique toujours enlisé, plus de sept ans après la chute du colonel Mouammar Kadhafi, fin 2011. En organisant dans la capitale sicilienne lundi et mardi une conférence internationale «pour» – et non «sur» – la Libye, elle souhaite offrir sa «contribution, dans le cadre du plan des Nations unies, au processus de stabilisation» de son ancienne colonie, comme l’a annoncé en soirée, dans un message vidéo de bienvenue, le président du Conseil italien, Giuseppe Conte.
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Une entente
Mais en plein conflit avec Bruxelles sur son budget, et alors que le gouvernement formé par la Ligue (extrême droite) et le Mouvement 5 étoiles (anti-système) a bouleversé en cinq mois la politique internationale de la Péninsule, Rome compte avec ce dossier libyen retrouver à l’étranger sa crédibilité diplomatique. «Nous ne sommes pas en train d’improviser, a répondu lundi à La Stampa le premier ministre et promoteur de la conférence. Je crois que l’Italie a la responsabilité et la capacité de jouer un rôle utile dans ce processus comme dans toute la région méditerranéenne.»
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Mais les éléments de langage du chef du gouvernement se sont heurtés à la réalité libyenne. Encore lundi soir, à quelques heures de l’accueil des chefs de délégation et du dîner de travail, la présence du maréchal Khalifa Haftar, homme fort de la Cyrénaïque, dans l’est du pays, restait incertaine. L’Italie espérait une rencontre avec le chef du gouvernement libyen reconnu par la communauté internationale, Fayez al Serraj, l’autre homme fort du pays. Le suspense s’est finalement dissipé peu avant 19 heures, lorsque des sources diplomatiques ont annoncé que le militaire était en route à bord d’un avion italien. Selon des sources libyennes proches du général, rapportées par la presse transalpine, Giuseppe Conte s’était même rendu à Benghazi dimanche pour tenter de le convaincre de faire le déplacement. Information démentie par le gouvernement italien.
Le maréchal et une conférence déserte
«L’absence du maréchal serait une claque pour l’Italie, explique Arturo Varvelli, chercheur à l’ISPI, l’Institut italien pour les études de politique internationale. Mais le militaire ne pourrait pas se le permettre, car il s’agirait aussi d’une claque aux Nations unies, étant donné que Rome travaille et soutient l’envoyé spécial de l’ONU pour la Libye, Ghassan Salamé.» Le maréchal Haftar «n’est pas indispensable, mais il est très utile, car il a réussi à coaliser autour de lui les forces militaires de l’Est libyen et des puissances internationales telles que la France ou l’Egypte», poursuit le spécialiste des relations italo-libyennes.
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La conférence de Palerme est désertée par les principaux chefs d’Etat occidentaux, comme le Français Emmanuel Macron et l’Américain Donald Trump, ainsi que par le Russe Vladimir Poutine. La réunion est «mal née, ajoute Arturo Varvelli. Le gouvernement italien a fait preuve d’amateurisme, faisant penser que de telles personnalités seraient présentes en Sicile. Ses ambitions étaient trop élevées.» L’Italie est néanmoins parvenue à réunir quelque 38 délégations venues de Libye, des pays de la région, mais aussi de France, de Russie ou encore des Etats-Unis. Des représentants de l’Union européenne, de la Ligue arabe, du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale sont aussi présents. Ils sont reçus à la Villa Igiea, une ancienne résidence privée du XIXe siècle transformée en hôtel de luxe surplombant la Méditerranée et profitant d’une vue imprenable sur la capitale sicilienne.
L'Italie veut reprendre le contrôle
«Pour nous, la Libye est le problème de sécurité nationale numéro un, explique un diplomate italien souhaitant rester anonyme. Il est donc normal que nous ayons un rôle important, reconnu d’ailleurs par les Etats-Unis.» Mais ce dernier a été contesté par Paris. Emmanuel Macron avait organisé un sommet similaire en mai dernier, alors que l’Italie cherchait encore à former un gouvernement. «Emmanuel Macron a décidé l’an dernier de s’éloigner du processus onusien, détaille le diplomate. La question a été réduite à une rivalité italo-française, mais Washington et Londres ont également critiqué ce choix. La France, toute seule, ne peut pas résoudre la crise. Le président français cherche-t-il absolument un succès en politique internationale? Ou à tenir l’Italie sous contrôle?»
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Mais Rome a besoin de «redevenir leader sur la question libyenne, conclut la source italienne. Le gouvernement précédent s’était concentré sur les flux migratoires, laissant les questions politiques et économiques libyennes aux Nations unies. Marquant ainsi la fragilité de l’approche: séparer les questions migratoires des politiques.» Or à Palerme, il n’est pas question de migration, mais de sécurité et d’économie, les deux principaux thèmes de la conférence.
Ghassan Salamé, dans une interview lundi à La Repubblica espère que la rencontre permettra de «mobiliser l’unité et le soutien de la communauté internationale, par exemple pour l’entraînement des forces de sécurité.» Il compte sur le soutien italien pour mettre en œuvre son plan visant in fine des élections en Libye l’année prochaine.