L’offensive de charme de l’Erythrée ne convainc pas l’ONU
Afrique
Une commission d’enquête de l’ONU accuse les dirigeants d’Asmara de crimes contre l’humanité

La bataille autour de l’Erythrée est engagée à Genève. La commission d’enquête de l’ONU présentait mercredi son second rapport sur le pays ultra-répressif de la Corne de l’Afrique. Sans surprise, son bilan est accablant. Réduction en esclavage, disparitions forcées, torture généralisée… Tout cela fait partie d’une «campagne visant à instiller la peur et à dissuader l’opposition», accuse l’Australien Mike Smith, le président de la commission d’enquête, dont c’est le second rapport.
Ces derniers temps, la dictature érythréenne a lancé une offensive de charme. Au contraire de la commission d’enquête onusienne, qui a dû se contenter d’interroger des exilés, y compris en Suisse, des journalistes ont récemment été invitées à visiter le pays. Des délégations étrangères se sont également rendues à Asmara, à l’instar de parlementaires helvétiques en février dernier. Au retour, le conseiller national UDC Thomas Aeschi assurait que l’Erythrée n’était pas «l’enfer» décrit. A Berne, de plus en plus d’élus pensent que le Conseil fédéral devrait nouer un dialogue sur le dossier migratoire avec le régime. Les Erythréens sont les premiers demandeurs d’asile en Suisse.
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«Les violations des droits de l’homme ne se produisent pas dans les rues d’Asmara, mais à l’abri des regards, dans les centres de détention ou les camps militaires», réagit Mike Smith. Il tempère toutefois: «c’est une bonne chose que le pays s’ouvre aux visiteurs étrangers et que certains pays engagent un dialogue avec l’Erythrée mais l’amélioration de la situation des droits de l’homme doit être la priorité».
Selon l’ONU, l’enrôlement forcé des Erythréens continue d’être une source majeure d’atrocités: tortures ou viols. Un service militaire ou national obligatoire n’est pas une violation des droits de l’homme en soi. Sauf que chaque Eythréen peut y être soumis de façon illimitée, parfois pendant plus d’une décennie.
Liste secrète
«Certains conscrits ont la chance d’être affectés dans des bureaux à Asmara et peuvent rentrer le soir chez eux, mais c’est une minorité», détaille Mike Smith. La plupart travaillent dans les champs ou dans la construction et sont soumis à une stricte discipline militaire. Pour l’ONU, le service national équivaut à de l’esclavage. Le système bénéficie aux entreprises d’Etat. Il permet aussi de maintenir le contrôle sur la population.
Les trois experts estiment avoir rassemblé assez d’éléments attestant de crimes contre l’humanité commis depuis l’indépendance du pays en 1991. Ils recommandent la saisie de la Cour pénale internationale (CPI), de même que l’interdiction de voyage et le gel des avoirs de certains responsables politiques.
Lesquels? Mystère. La commission dispose d’un fichier de noms des commanditaires de la répression au plus haut niveau de l’Etat. Elle en réserve la primeur pour le jour où la justice internationale sera actionnée. Avant cela, le rapport de la commission d’enquête doit encore être entériné par le Conseil des droits de l’homme, qui s’ouvre la semaine prochaine. L’Erythrée ne va pas se laisser faire.
Une avalanche de lettres
Pendant son enquête, la commission a été submergée par 45 000 lettres critiquant son travail. «Nous n’avons pas pu les examiner toutes, concède Mike Smith. Il s’agissait pour la plupart de lettres types. Nous avons contacté certains signataires: beaucoup de numéros téléphones ne marchaient pas, certains ont assumé la démarche, d’autres contestaient une partie des arguments ou n’étaient même pas au courant que leur nom avait été utilisé.»
«La diaspora est très attachée à la défense du pays», explique fièrement Yemane Gebraeb. Ce conseiller du président érythréen avait spécialement été dépêché depuis Asmara pour exposer la vérité officielle. Il justifie la longueur du service militaire et national par l’état de guerre avec l’Ethiopie. Cet état d’urgence permanent l’empêche de donner la moindre information sur les détenus politiques, au nombre de 10 000 selon Amnesty International.
Quant aux Erythréens qui risquent leur vie pour traverser la Méditerranée, ce sont avant tout des migrants économiques. «Beaucoup ne sont même pas érythréens mais les pays européens leur accordent immédiatement l’asile», continue Yemane Gebraeb. Et de saluer le fait que la Suisse est le pays qui a envoyé le plus de délégations à Asmara.
La conscription illimitée est le «facteur principal» de l’exode des Erythréens, rétorque Mike Smith. «Les gens fuient l’arbitraire et parce qu’ils n’ont plus aucun espoir», dit-il. Le président Issayas Afewerki est au pouvoir depuis 1993 et il n’y pas eu d’élection depuis lors. Son conseiller dit de lui qu’il «mène une vie simple» et que c’est «le seul chef d’Etat au monde qui s’arrête aux feux rouges»