Il aura fallu un an exactement à Bidzina Ivanichvili pour conquérir le pouvoir en Géorgie. Jusqu’au 5 octobre 2011, il restait hors de la politique et était le plus secret des oligarques ayant fait fortune dans la Russie chaotique des années 1990. Sur Internet, on ne trouvait de lui qu’une seule photo, un peu floue. Le voilà aujourd’hui sur le point de prendre les commandes du gouvernement de la république caucasienne.
Bidzina Ivanichvili a tenu sa promesse: faire tomber le président Saakachvili, dont le mandat échoit dans un an. Mais en battant son puissant parti lors des parlementaires de lundi, il lui a déjà coupé l’essentiel de ses moyens pour diriger le pays. Comme quoi, c’est utile d’avoir 6 milliards de francs en poche. C’est ainsi qu’il s’est offert une armée de sociétés de relations publiques, a réuni une coalition – le Rêve géorgien – de partis jusqu’alors moribonds, a doté cette drôle d’assemblée d’une organisation efficace et présente dans toute la Géorgie.
Mikhaïl Saakachvili a tenté, en modifiant la loi, de couper les moyens à ladite coalition. En vain. La fortune de Bidzina Ivanichvili, la 153e du monde selon Forbes, représente à elle seule la moitié du PIB national. Avec ces moyens financiers-là, l’oligarque a pu s’épargner d’écrire un programme. Il a seulement vendu son Rêve géorgien aux déçus de la trop libérale Révolution des roses de 2003, celui de se débarrasser d’un Mikhaïl Saakachvili qui aura eu entre autres torts de réformer la Géorgie à 100 à l’heure et d’oublier parfois les besoins essentiels de ses 4,5 millions de compatriotes, souvent pauvres.
Actifs russes cédés
Dans la bagarre, Mikhaïl Saakachvili a dépeint son adversaire comme l’homme de Moscou. Lui, dont toute la politique est basée sur la rupture avec l’influence russe. Une cassure qu’il a voulue encore plus radicale après la guerre russo-géorgienne de 2008, au terme de laquelle le Kremlin a reconnu l’indépendance des deux régions séparatistes de Géorgie, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. «Il ne critique jamais Poutine, qui a pourtant reconnu avoir eu un plan dès 2006 pour envahir la Géorgie. Quel patriote!» s’exclame un proche du président géorgien.
L’oligarque s’est séparé de ses actifs en Russie il n’y a que quelques mois, afin que ceux-ci ne le handicapent pas pendant la campagne électorale. Le quotidien russe Kommersant a mené l’enquête: Bidzina Ivanichvili a vendu ces actifs-là à un bon prix, comme sa banque Rossyisky Kredit ou sa chaîne pharmaceutique Doctor Stoletov, et certains l’ont même été à des proches du Kremlin. «Quant à sa politique étrangère, il dit qu’il veut d’abord rétablir de bonnes relations avec Moscou avant de faire adhérer la Géorgie à l’OTAN. C’est de la blague. [L’ex-président] Medvedev a lui-même dit qu’il nous a fait la guerre en 2008 pour bloquer notre accession à l’OTAN», explique Guiga Bokéria, le chef du Conseil de sécurité géorgien.
Un Dmitri Medvedev qui, en ce mardi 2 octobre, a vu dans la victoire du Rêve géorgien un signe que les Géorgiens veulent des liens plus «constructifs» avec Moscou. Bidzina Ivanichvili, qui prône aussi l’arrimage de la Géorgie à l’OTAN et à l’Union européenne, estime qu’il faut une approche «non provocatrice à l’égard de la Russie. Contrairement à ce qu’a fait Saakachvili. Il faut commencer par rétablir des relations économiques et commerciales avec elle.»